La solidarité internationale peut se comprendre comme la coopération entre organisations syndicales qui par nature partagent les mêmes objectifs du fait de leur représentation des travailleurs de leur pays. Elle prend une importance tout particulière lorsque les travailleurs sont employés par une même entreprise multinationale ou au sein d’une même filière industrielle.
Pourquoi tous les travailleurs sont-ils concernés ?
Lorsqu’une décision en terme d’emploi ou d’investissement est prise au siège d’une multinationale, elle impactera directement plusieurs sites du donneur d’ordre et de ses sous-traitants dans plusieurs pays. Pour faire face aux conséquences probables, de quelle autre solution disposent les travailleurs que de s’allier par-delà les frontières et de chercher à faire cause commune ?
La mondialisation des entreprises dessine un monde qui s’uniformise de plus en plus : droits des travailleurs, niveau des salaires, conditions de travail convergent vers le bas. La spirale négative du moins disant social s’amplifie, le plus souvent tirée par les dirigeants des pays à faible niveau salarial, au droit social étriqué, qui ne voient que cette issue pour développer et industrialiser leur pays alors qu’en fait ils accompagnent d’abord la stratégie des grandes multinationales donneuses d’ordre et de leurs relais politiques.
Elles cherchent :
● à s’affranchir le plus possible du droit du travail et des conventions collectives au nom de la libre entreprise et de la compétitivité,
● à accroître la flexibilité du travail sous toutes ses formes,
● à disposer d’emplois à court terme (CDD, Intérim, emplois de plus en plus précaires).
En résumé : à réduire le prix du travail, ce qu’elles nomment « coût de main d’œuvre », par tous les moyens.
Les conséquences sont connues. Les riches de tous les pays sont de plus en plus riches. Les autres de tous les pays (les 99 % comme disent les Indignés) vivent de plus en plus mal. On a donc bien affaire à une opposition de classes et non à une opposition de peuples ou de nations.
La CGT a depuis toujours développé des relations avec toutes les organisations syndicales démocratiques dans le monde dans l’objectif de mondialiser le progrès social. Toutes les organisations internationales, l’ONU, l’OIT et même l’OCDE, l’affirment aujourd’hui : c’est par la création d’emplois correctement payés et la mise en place d’un socle de protection sociale à l’échelle mondiale que nous sortirons de la crise.
Les travailleurs sont en première ligne face à la mondialisation actuelle
Les employeurs ne nous répètent-ils pas tous qu’ailleurs les travailleurs sont plus flexibles, plus compétitifs, moins revendicatifs ? Tant que les multinationales pourront opposer les travailleurs d’un pays à ceux d’un autre pays, nous ne pourrons pas nous sortir du cycle infernal du moins disant social et du chantage permanent des patrons sur nos emplois, de la mise sous pression des salaires, de la détérioration des conditions de travail.
Pour la CGT, la solution consiste à établir des relations entre les travailleurs des différents pays, à commencer par ceux d’une même entreprise multinationale.
Que peut faire le syndicalisme ?
Dès lors qu’on s’organise, beaucoup de choses sont possibles. En échangeant avec les autres salariés, il est possible de connaître leurs conditions de vie et de travail, pas simplement ce que les patrons veulent bien raconter, mais ce qui vivent vraiment les salariés. Une fois que les contacts sont établis, construire des solidarités en action devient envisageable, pas simplement échanger des messages de soutien, mais agir de manière coordonnée face à un même patron en informant les salariés, en établissant un rapport de force au-delà des frontières. Nous avons tous mesuré l’efficacité d’actions unitaires ; l’unité au niveau international pèsera encore plus fortement.
Les expériences qui ont été faites le démontrent.
Quelques exemples : les séminaires communs tenus en 2007 entre syndicalistes français, tchèques et hongrois du groupe Leroy Somer (Angoulême) ont permis aux syndiqués de se comprendre et d’établir une plate-forme revendicative argumentée commune permettant aux hongrois de gagner des augmentations de salaire significatives. Plus les écarts se réduisent, plus la mise en concurrence devient difficile.
En 2009, les militants de quatre multinationales établies en France et en Turquie affichent le compte rendu de leurs rencontres et font part des décisions prises en commun, dans les deux langues, avec les deux logos de la CGT et du syndicat Turc (Birlesik Metal), sur l’ensemble des panneaux syndicaux des entreprises concernées en France et en Turquie. Le retentissement parmi les salariés des groupes est énorme, la colère des patrons également… On a donc visé juste.
La visite, toujours en 2009, des camarades d’Airbus en Chine, de la ligne d’assemblage de l’A320, les rencontres avec les syndicalistes sur place ont permis de mesurer la réalité et la finalité réelle de l’implantation d’Airbus en Chine et d’apporter des informations fiables aux salariés du groupe en France, au-delà des fantasmes. Dire les choses, déjouer les peurs irrationnelles, contribuent à élever la conscience des salariés face à la mondialisation en cours.
Trois séances de travail ont été organisées en Tunisie, en 2009 et 2010, entre syndicalistes français et tunisiens autour de l’implantation d’Aérolia, entreprise créée de toutes pièces par la filialisation d’activités d’Airbus à fin de délocalisation. Elles ont porté sur les enjeux de « qualification, classifications, salaires » et ouvrent des perspectives d’actions et de syndicalisation en Tunisie – ce qui, en ce moment, est crucial.
La réunion, en avril 2010, de quasiment tous les représentants syndicaux présents dans le monde au sein du groupe Caterpillar à Grenoble, après l’épisode de luttes intenses dans l’entreprise a, c’est vrai, demandé beaucoup d’efforts, de temps : environ six mois de travail de contacts avec les organisations syndicales dans le monde présentes dans le groupe, avec l’aide de la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (FIOM), bien sûr. Il a fallu également un important travail d’élaboration d’un ordre du jour qui réponde à toutes les attentes, de recherche de financement, d’un lieu de réunion avec les contraintes d’interprétariat. Mais au final, un réseau syndical, c’est-à-dire une structure purement syndicale, piloté par un bureau restreint de syndicalistes, existe et vit car ces derniers échangent régulièrement sur les aspects économiques et sociaux de l’entreprise. Des démarches conjointes des tous les syndicats prennent forme. Des interventions auprès du PDG Monde ont été effectuées. À ce stade, organiser des actions communes est envisageable. Rendez-vous est de nouveau pris pour 2013.
Les visites réciproques en 2010 et 2011 entre les camarades d’Alstom transport et leurs homologues de TMH, la société dans laquelle Alstom investit en Russie pour manifestement délocaliser la fabrication des voitures et des locomotives, débouchent sur une demande forte : en effet, le Comité d’entreprise européen (CEE) est informé et consulté (ou devrait l’être) sur les restructurations dans le groupe. Or une grande partie des activités est transférée en Russie. Ensemble, français et russes demandent donc à ce que les syndicalistes russes siègent à titre d’observateurs au CEE afin d’éviter les mises en opposition, et de construire des stratégies communes. Et c’est possible. Nous défendons nos emplois, et eux aussi puisqu’ils nous disent qu’Alstom veut démanteler les services de R&D et que séparer R&D et production est un non-sens. Cela tombe bien : les syndicalistes en France pensent la même chose, mènent les mêmes combats.
Les contacts et les nombreuses rencontres entre les militants de France et du Maroc au sein d’ArcelorMittal ont amené à formuler le même type de demande au sein du CEE d’ArcelorMittal. À savoir : que les camarades marocains viennent témoigner des conditions de travail lors d’une réunion de CEE, afin d’imposer des solutions en s’appuyant sur le rapport de force plus favorable dont nous disposons en Europe.
Dans le même esprit, les camarades de Safran, après nos rencontres, fin 2011, avec les syndicalistes des entreprises de la filière aéronautique, toujours au Maroc, s’interrogent sur la pertinence de revendiquer d’associer les syndicats du Maroc et de Tunisie aux réunions de CEE.
Chaque fois, il a fallu démentir des allégations patronales et rétablir les faits. Nous nous sommes ainsi aperçus que le document sans doute le plus utile dans les échanges internationaux est le rapport de l’expert économique auprès du Comité central d’entreprise (CCE) et celui auprès du CEE. Passer de la solidarité politique affective à des solidarités économiques effectives nécessite de partager avec nos camarades toutes les informations. Et comme les salariés en France disposent encore de certains droits, faisons en sorte que les salariés des autres pays en bénéficient également. Si l’on veut mettre l’économie au service du social, il est utile de mettre l’information économique à la disposition de tous ceux qui se battent pour le progrès social.
Il existe des dizaines d’autres exemples ; avec les camarades du Brésil sur l’aéronautique ; d’Afrique du Sud sur l’énergie et les transports, sur l’automobile ; des États-Unis avec les rencontres entre syndicats de Boeing, aussi bien des cols bleus que ceux représentant les cols blancs, avec la CGT de EADS ; d’Inde autour des implantations de Renault, d’Alstom, de Schneider ; d’Australie du fait de la présence de Thalès qui gère la maintenance de la marine de guerre de ce pays.
Ces initiatives ont été possibles grâce aux liens existants depuis une longue période avec toutes les organisations syndicales du monde. Ces liens résultent d’une volonté politique de la fédération CGT de la métallurgie où l’internationalisme est une de nos raisons d’être, et de notre présence dans les structures fédérales européennes et internationales. Elles existent parce que nous considérons que le maintien de relations bilatérales est un complément indispensable à notre participation active à la vie des fédérations, tant européenne qu’internationale. Redisons-le, malgré les turpitudes du moment, la coupable passivité des fédérations internationales face à la crise systémique, notre présence en leur sein est une aide réelle à notre activité et n’altère aucunement notre complète autonomie d’actions.
Comprendre les freins
Chaque organisation syndicale, chaque pays a son histoire, sa manière de faire en fonction de sa conception du syndicalisme. Il est souvent nécessaire de bien expliquer ce que nous cherchons, nos objectifs, pour être compris et engager une relation dans la confiance pour qu’elle soit pérenne. Nous sommes dans des rapports entre êtres humains, dans des relations où les liens personnels comptent, mais aussi entre syndicalistes qui, comme nous, sont rattrapés par le quotidien et gèrent au mieux leurs priorités.
Où cela mène-t-il ?
Tout d’abord à avoir une appréciation plus claire de la stratégie de l’entreprise. Il s’agit d’obtenir des informations sur ce qui se passe dans les sites hors de France de la part des représentants des salariés et non de la part du patron. Les salariés trouveront de nouveaux arguments pour étayer les revendications et contrer les stratégies patronales. Ils pourront agir ensemble pour soutenir telle ou telle lutte ou se battre sur le même objectif en même temps, améliorant notablement le niveau du rapport des forces en leur faveur.
Le but est de construire un réseau permanent entre organisations syndicales au sein des entreprises multinationales et ainsi de disposer de moyen d’agir de façon coordonnée.
Ensuite, le travail en commun dans le réseau doit permettre de revendiquer un accord cadre international (ACI), à négocier entre les dirigeants de l’entreprise et la fédération internationale, dans lequel l’employeur s’engage à respecter les normes et conventions de l’OIT et les principes directeurs de l’OCDE partout dans le monde, quelle que soit la loi locale. Le réseau constitue un élément du rapport de force qui doit permettre un accord qui a un effet utile.
Pour conclure
Les dirigeants des entreprises, au sein d’un groupe ou d’une filière se concertent, se voient régulièrement, et c’est aux frais de l’entreprise ; les chefs de gouvernement font de même. Ils le font parce que c’est utile et nécessaire pour leur activité. Les salariés doivent donc pouvoir en faire autant. Cela se joue d’abord dans l’entreprise.
La question du financement se pose. Bien évidemment il faut faire le maximum pour que l’employeur assume les frais. Mais pourquoi ne pas revendiquer :
● que l’ONU mette à jour sa déclaration sur « les principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme »,
● que l’OCDE fasse de même avec « les principes directeurs à l’attention des entreprises multinationales », afin d’inclure l’obligation d’instances d’information et de consultation de dimension mondiale pour les entreprises multinationales ? Nous revendiquons une sorte de directive mondiale sur des comités de groupe mondiaux, ainsi que l’obligation de fournir les moyens aux organisations syndicales de se réunir entre elles, sans représentant de l’employeur, une fois par an.
La CSI, les Fédérations syndicales internationales pourraient porter cette revendication à l’OIT, à l’OCDE via le Comité consultatif syndical et à l’ONU.
(Janvier 2012)