Au moment où ces lignes sont écrites, l’instabilité en Europe ne cesse de grandir et personne ne connaît le scénario qui se produira ces prochaines semaines. Ce n’est pas prendre de grands risques que de dire que l’on va vers des tragédies multiples.
Les sociétés européennes sont de plus en plus assujetties à des politiques d’austérité et de régression sociale. Dans ce cadre, les institutions et les gouvernements de l’UE renforcent le processus d’intégration mais en se tournant vers une voie autoritaire qui mine la démocratie. Cette sorte de capitalisme « dé-civilisé » déstabilise profondément les sociétés européennes. En Europe, la régression sociale et démocratique, le défaut de politique, l’érosion des forces de gauche pavent la voie d’une extrême droite populiste qui renouvelle avec succès son discours et ses pratiques pour les adapter aux conditions nouvelles. L’accentuation des contradictions, le développement de luttes sociales et politiques, l’émergence de crises de régimes politiques appellent comme jamais des alternatives crédibles pour changer de politique et l’Europe.
Austérité = impasse et dangers
La grande crise que nous vivons est le résultat de presque quarante ans d’offensive néolibérale que les forces de droite ont portée avec de plus en plus de détermination et qui a également contaminé des pans entiers de la gauche.
Les formes que prend cette crise revêtent ces jours-ci des traits encore inimaginables il y a quelques mois en Europe. Les « hair-cuts » touchant les peuples commencent à produire des conséquences tragiques.
Nous voyons se réaliser ce que signifie concrètement pour les sociétés cette étape du capitalisme qui a si justement été qualifiée de « capitalisme financiarisé » [1], de capitalisme « dé-civilisé ». Nous sommes bien davantage dans une aggravation de la crise du système, voire d’une crise de civilisation [2] que d’une sortie de crise, dans la mesure où les contradictions à la base de cette crise n’ont en rien été résolues.
Pour l’UE et l’euro, la crise devient existentielle. Après avoir secouru les banques et la conjoncture, de plus en plus d’États deviennent otages des marchés financiers, voient leur souveraineté minée par les puissances économiques et les institutions européennes, ou plus précisément les dispositifs européens mis en place par les gouvernements allemand et français. Avec les politiques de super-austérité, le cercle vicieux se poursuit ; c’est une spirale descendante qui produira des réactions dont personne ne peut encore prévoir les scénarios.
De plus en plus de voix se lèvent y compris dans le camp des puissants pour qualifier d’erreur les choix d’austérité en Europe. Timothy Geithner, secrétaire d’État américain au Trésor, considère que « les gouvernements devraient reconnaître que la croissance est le défi le plus grand qui se pose à nous dans le monde entier » [3]. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Économie, estime que « la mauvaise politique monétaire qui nous a plongés dans le bourbier actuel n’est pas en mesure de nous en extraire » [4]. Fustigeant « la vague de la faible imposition » et de « fétichisme de la dette », il insiste sur la contradiction selon laquelle « les grandes entreprises regorgent de liquidités, mais les banques n’accordent pas de prêts aux petites et moyennes entreprises qui, dans n’importe quelle économie, sont sources de création d’emplois », et il n’envisage que des scénarios pessimistes. George Soros considère que l’euro est en danger, compte tenu de la fragilité des banques et des risques pris par elles dans le passé, ainsi que de l’absence de relance des économies et des marchés intérieurs [5].
Tout ceci montre que les dogmes néolibéraux s’écroulent, mais sans que les forces dominantes ne se montrent en mesure de produire des réponses de rechange. De nouvelles formes d’oligarchie minent démocratie et souveraineté populaire. Dans ce contexte de désagrégation des sociétés où les bases d’une conception solidaire du « vivre-ensemble » sont systématiquement minées, rien ne dit que ce seront des résistances solidaires, de portée progressiste et démocratique, qui prendront le dessus. En même temps les mobilisations multiples et sous des formes variées suscitent de l’espoir.
Les dirigeants européens ne cessent de renforcer les politiques d’austérité alors que, cet automne, des preuves déjà tangibles et largement reconnues montrent que ces choix – poussés au paroxysme ces jours-ci en Grèce – non seulement aggravent la situation économique et sociale, mais privent durablement les États de recettes et de moyens d’intervention. Les faux « plans d’aide » – destinés à sauver les banques et non les populations – ont conduit en Grèce à la destruction de 320 000 emplois en 18 mois, à une baisse des salaires de 30 %, à un recul de son PIB de 5 %. Le chômage continue de progresser pour atteindre (source Eurostat) 12,3 % au Portugal, 14,5 % en Irlande et 16,6 % en Grèce au 2e trimestre 2011. Comme les « plans d’ajustement structurel » pratiqués dans le passé par le FMI dont la communauté internationale reconnaît aujourd’hui les effets économiques et sociaux désastreux, ces politiques conduisent à la régression. En France commencent à éclater des crises budgétaires dans un nombre croissant de collectivités territoriales ruinées par les prêts toxiques [6] proposés notamment par la banque Dexia et par conséquent dans l’incapacité de boucler leurs budgets.
Europe : vers un capitalisme autoritaire ?
La crise est particulièrement profonde en Europe, ce qui a un rapport avec la nature même de la construction européenne selon les préceptes du « néolibéralisme pur » et les intérêts de « Core Europe » (noyau dur de l’UE).
La poursuite des logiques de compétitivité et d’austérité après l’éclatement de la crise en 2008 a conduit à des inégalités ingérables. Les sociétés européennes sont de plus en plus minées par les politiques d’austérité. L’UE est menacée d’éclatement entre pays du centre et pays de la périphérie. Les déséquilibres d’avant la crise et ayant conduit à celle-ci n’ont pas été dépassés. Les États ont sauvé les banques sans se donner les moyens de les contrôler ; ils ont restauré la puissance des marchés financiers en renonçant à les réguler véritablement, et sans développer productions, recherches et services socialement et écologiquement utiles, sans relancer l’emploi et la justice sociale, sans augmenter les recettes publiques. Ils ont choisi de transférer la charge de la dette sur les sociétés. Les « plans d’aide » ne soutiennent pas les productions et services, mais installent l’obligation d’austérité et d’en finir avec le modèle social ; ils exproprient les sociétés à travers de vastes opérations de privatisation. Avec le « Pacte euro plus », un nouveau pas a été franchi dans la voie de l’autoritarisme. Encore récemment, en juin 2010, M. Barroso a donné aux agences de notation dans toute l’UE un droit de libre circulation et le droit de s’autosaisir.
Il devient de plus en plus visible que la logique à l’œuvre ne peut qu’aggraver la crise. L’UE est face à une crise structurelle, et peut-être même existentielle.
« Tous les ingrédients sont réunis pour que la crise s’aggrave encore […] Pour n’avoir pas voulu envisager la moindre restructuration de la dette publique grecque afin de ne pas dévaloriser les actifs détenus par les banques privées, il est malheureusement probable que la crise soit encore devant nous […] Le risque n’est pas tant de voir cette Union européenne-là et cet euro-là éclater car ils sont mortifères, que, de ces ruines, ne sortent que les égoïsmes nationaux, le refus de toute solidarité, voire la xénophobie. » [7]
En effet, une désintégration ne peut être imaginée autrement qu’explosive, avec un nombre incalculable de dégâts. Même d’un point de vue allemand officiel, selon Josef Ackermann, chef de la Deutsche Bank, les coûts du soutien aux pays membres de l’UE économiquement faibles seraient nettement plus bas que les coûts d’une désintégration compte tenu des imbrications commerciales avec les pays de la périphérie européenne et des expositions de la branche financière allemande face à ces pays [8].
Le délitement de l’Europe peut-il encore être stoppé ? D’un côté, « le manque d’outils économiques spécifiques et d’outils de solidarité, susceptibles d’aider les économies nationales à faire face aux pressions de la récession et aux attaques spéculatives provenant des marchés financiers, a accru les problèmes de cohésion économique et sociale et renforcé les inégalités au sein de l’Union européenne » [9] ; de l’autre côté s’intensifient les tentatives d’installer une nouvelle « gouvernance européenne » qui prend selon les orientations dominantes une forme de « communautarisme autoritaire » faisant déboucher « la « post-démocratie » européenne dans des structures d’un capitalisme autoritaire » [10]. On peut en effet parler d’un « coup d’État européen » [11], on constate que les partis sociaux-démocrates, actuellement surtout dans l’opposition, comptent sur un « saut fédéraliste » et sur l’instauration d’un gouvernement économique européen pour agir face à la crise, sans imaginer un changement de logique. Les Verts européens vont dans la même direction. La droite – au pouvoir dans de nombreux pays – est bousculée, non seulement par rapport aux difficultés à « gérer » la crise et à dégager des mesures européennes, mais aussi en raison de la pression qu’exerce la droite populiste véhiculant des approches nationalistes et des ressentiments antieuropéens. On ne voit nulle part apparaître un début de réponse aux problèmes posés.
On peut aujourd’hui oser cette hypothèse : la construction européenne ne peut avoir d’avenir que dans une logique opposée à celle du néolibéralisme. C’est tout à fait évident : une union monétaire ne peut pas être viable sans un projet de développement économique, social et écologique fait de solidarité et de construction démocratique. Pour l’UE, cela signifie un double changement de logique : une autre logique économique et un changement radical de logique institutionnelle.
La gauche doit poser sur la table la problématique des pouvoirs publics, de leur fonction. Au lieu « d’apaiser les marchés », « c’est aux gouvernements de soumettre les marchés au contrôle politique et démocratique, et de redonner du pouvoir aux parlements et aux citoyens » [12]. D’autant plus que dans plusieurs pays s’annoncent de sévères crises des régimes politiques.
Alors que les interventions étatiques s’intensifient depuis 2008 dans le champ économique, la logique néolibérale n’est pas abandonnée. Les États et les institutions européennes continuent de conformer leur action aux dogmes néolibéraux. Les risques d’un étatisme autoritaire en Europe montent. Le sens de la fameuse « règle d’or », « c’est de ramener l’État à un rôle où il se contenterait d’avoir des fonctions purement régaliennes. Ce serait une formidable régression que veulent les néolibéraux et qui contamine certains rangs du Parti socialiste » [13].
D’un côté, le surendettement des Etats suite aux diverses tentatives pour sauver les banques et aggravé du fait du contexte de déprime globale – sans perspective de reprise – les fragilise et réduit leurs moyens. De l’autre, la légitimité des gouvernements s’effrite alors qu’il y a un énorme besoin d’intervention publique en faveur d’investissements à long terme, d’un nouveau type de développement, de la transition écologique.
Confrontation de classe autour de la dette publique
Nous ne sommes pas confrontés à un problème « technique » de gestion de la dette publique, mais engagés dans une confrontation sociale et politique de grande ampleur.
La crise de la dette publique cristallise les conséquences des logiques néolibérales, mais ne résume pas à elle seule la réalité de la crise. La dette publique actuelle dans nombre de pays européens provient de la combinaison de différentes logiques : les inégalités croissantes et la baisse de l’imposition des revenus du capital ; la baisse de la part du travail dans les richesses produites et le manque à gagner pour la société ; la politique des banques et leur sauvetage en 2008 sans contreparties ; la pression et le chantage par les marchés financiers, ainsi que le manque d’ambition politique de changer le cours des choses.
On ne peut nier la crise de la dette, car « l’immense accumulation financière de ces 25 dernières années, comme celle du capitalisme largement « fictif » au sens que Marx donnait à cette notion, la contrainte que fait peser cette pyramide de créances sur les pays et les travailleurs […] est quant à elle bien réelle. Mais attention, ce n’est pas la dette qui explique la crise ! Ce n’est donc pas l’austérité qui peut nous en faire sortir […] Depuis les années 1980, pour augmenter la rentabilité d’un capital sur-accumulé, les actionnaires ont mis une pression sans précédent sur le travail et les travailleurs […] Il y a donc bien une dimension anthropologique dans cette crise. Le travail humain, qui devrait être au centre du développement social, est devenu la variable d’ajustement. » [14] La baisse des recettes publiques et des revenus des ménages qui en résulte a été compensée par l’endettement – ce qui montre la profondeur du mal.
Si l’endettement demande aujourd’hui des soins d’urgence, le traitement des véritables causes nécessite une nouvelle approche du développement, du travail, de l’économie réelle, de la protection sociale, de la croissance. La solution se trouve davantage du côté des recettes à augmenter que des dépenses publiques à réduire.
Luttes sociales et politiques et bataille de l’interprétation
Sans doute le mensonge des « marchés invisibles » est-il en train de s’effondrer. Mais même si les inégalités (revenus, propriété, pouvoirs…) sautent davantage aux yeux, si les cercles dirigeants sont souvent appelés « l’oligarchie », si le livre Le Président des riches [15] a été vendu en France à 100 000 exemplaires, si « Indignez-vous » est devenu dans le Sud européen un mot d’ordre, nous sommes toujours aux prises avec un sentiment massif d’impuissance, avec des colères « sans adresse » [16]. Cela laisse de la marge aux pouvoirs et aux marchés. « La dette » est au cœur de la confrontation politique et idéologique. Cela est facilité par le fait que ses causes ne sont généralement pas encore perçues comme le résultat de choix politiques inhérents à un système, celui du capitalisme financiarisé accompagné d’une offensive néolibérale à l’échelle mondiale.
Si elle veut aider à casser la « vision camisole » de la dette publique, la pensée alternative doit affronter la crise dans ses différents aspects : crise sociale, effondrement de l’économie réelle, endettement public. Ce qui suppose de mener de pair le débat sur les réalités, les raisons et les solutions concernant la dette – et cela dans le cadre d’une critique cohérente et globale du système.
Un certain nombre de propositions spécifiques permettent de montrer la possibilité de réduire la dette publique : audits citoyens concernant la structure de la dette, repérage et annulation des dettes illégitimes, baisse immédiate des taux que l’on doit également considérer comme illégitimes demandés aux États, collectivités territoriales et organismes publics. S’agissant de l’annulation de certaines dettes, des critères de justice sociale sont à respecter afin de ne pas léser des personnes dont la protection sociale dépend de fonds privés. La nationalisation de certaines banques ne peut pas non plus constituer une nouvelle étape de socialisation des pertes et doit comporter des éléments de réappropriation publique des avoirs et des pouvoirs.
Le débat doit en même temps porter sur les moyens de développer l’économie réelle, le travail et l’emploi, le développement social, culturel et écologique ; ce qui suppose des changements de politique radicaux, une ambition de passer à un autre type d’économie, un autre type de développement.
Dans le cadre de l’Union européenne, la complexité réside dans le fait qu’une telle logique alternative doit être imposée au niveau des pays et de l’UE.
Besoin d’un front social – aux niveaux national et européen
Dès lors que l’on est animé par la volonté de s’opposer au développement des divisions, ressentiments, discriminations et nationalismes, il devient essentiel de démontrer la véritable nature de la confrontation entre les classes dominantes dans le cadre du capitalisme financiarisé et l’ensemble des dominés dans les sociétés européennes. Il s’agit de dégager des propositions permettant aux luttes de gagner en efficacité, au rassemblement de s’élargir. En cristallisant la nature même de la confrontation, de telles propositions alternatives seraient de nature à freiner, voire à empêcher que les conflits soient déportés sur le terrain des discriminations, ressentiments, nationalismes.
Le risque est grand de voir la politique brutale menée par les instances et gouvernements européens conduire à des divisions et à la recherche de « boucs émissaires » au sein des sociétés et de l’Europe. Une « nationalisation » des problèmes ne saurait que donner plus de poids aux courants nationalistes, aux forces de droite populistes et extrêmes déjà très présentes en Europe, et aux clivages entre Nord et Sud, Est et Ouest du continent. Plus généralement, force est de constater que les logiques agressives du capitalisme financiarisé constituent des menaces pour la démocratie et la paix – ce qui appelle la constitution de larges fronts pour s’y opposer.
Face à la crise se pose partout la question de la formation d’un nouveau bloc social qui saurait être porteur d’un changement de politique, d’une logique alternative. Compte tenu des fragmentations sociales qui caractérisent le régime néolibéral, une telle perspective se présente sous une grande complexité [17]. Dans les conditions actuelles de lutte de classe, avec la fragmentation et la précarisation du salariat, avec son expérience différenciée de la crise et des politiques publiques, la recherche de nouvelles alliances entre classes subalternes demande de l’innovation stratégique. Il ne s’agit pas seulement de repérer quel type de projet politique serait de nature à pouvoir dépasser la fragmentation sociale, mais aussi quel type de posture politique favoriserait des rapprochements. Il est intéressant d’observer que la « dignité » est nettement un ferment très transversal de l’action – ce qu’illustrent les échos à l’appel à s’indigner de Stéphane Hessel.
La colère qui gronde peine souvent à définir son objet et à trouver à qui s’adresser précisément. Cela est source d’épuisement et de renoncement. L’aggravation de la crise a renforcé tout à la fois la colère et l’impuissance. Le manque de pouvoir d’interprétation, le manque de pouvoir d’intervention et les difficultés à s’unir ont tendance à générer des ressentiments qui sont facilement récupérables et manipulables – comme nous le constatons actuellement en Europe – par des forces d’une droite populiste radicalisée se présentant comme défenseur de certains acquis sociaux pour une certains groupes de la population. Les discours combatifs, certes nécessaires, ne peuvent suffire à faire reculer ces ressentiments. Pour y parvenir, il est indispensable de pouvoir montrer l’intérêt commun et de proposer des perspectives réelles quant au pouvoir d’interprétation, au pouvoir d’intervention et au pouvoir de s’unir.
La difficulté de concevoir les luttes nécessaires à l’échelle européenne reste considérable [18] dans la mesure où c’est au niveau national que se structurent les pouvoirs politiques et les formes démocratiques, les organisations sociales et politiques, la citoyenneté et la culture politique, les bases sociales des projets politiques, les majorités électorales. L’espace commun européen est bien plus avancé du côté des puissances économiques qui ont une énorme influence sur les institutions européennes que du côté des forces démocratiques. La même logique qui sévit au niveau des États – la prédominance des grands groupes et marchés financiers sur les pouvoirs politiques – s’est encore plus radicalement imposée au niveau de l’UE, forme étatique qui s’est constituée en pleine période néolibérale, dans un contexte où l’émergence de contrepouvoirs, d’instruments démocratiques, de formes de société civile, d’organisations sociales et politiques n’a pas accompagné la formation de l’État comme ce fut le cas dans les « républiques » telles qu’elles se sont forgées dans les différents pays.
C’est pourquoi, l’européanisation des forces qui contestent l’intégration européenne selon les préceptes néolibéraux est bien plus difficile. Néanmoins, les initiatives et processus de recherche de convergences et d’actions communes se développent. Le dernier congrès de la CES à Athènes ainsi que les deux euromanifestations à Budapest (50 000 participants) et en septembre en Pologne (70 000 manifestants) ont été plus combatifs que dans le passé. L’université d’été d’Attac Europe (à Freiburg en août) a constitué un important moment de travail et débouche sur des initiatives citoyennes.
Le 31 mai a été organisée au Parlement une conférence européenne « Stop à la dette, à l’austérité et au démantèlement social en Europe » qui a permis de mesurer à quel point des convergences réelles entre acteurs sociaux et politiques venus d’une vingtaine de pays avaient progressé. Cela a permis d’esquisser les grandes lignes d’une logique alternative pour l’Europe [19]. Il y est question à la fois de la dette, de la crise financière, mais également des grandes questions sociales, de la place du travail, des services publics, de la démocratie.
Le Parti de la gauche européenne dans sa déclaration de Trévi en juillet [20] fait siennes les grandes pistes alternatives à l’austérité que portent nombre de forces sociales et politiques agissant pour une autre Europe, mais il insiste davantage sur la question – sous-estimée dans nombre de prises de position – des salaires, du salaire minimum européen, des pouvoirs des salariés. Il considère également comme essentiels le renforcement des pouvoirs des instances élues par les citoyens et la modification des traités européens. Il souhaite œuvrer à l’émergence d’un front européen de résistance et d’alternative.
Concernant les mouvements, le moment semble favorable pour rapprocher ceux qui contestent avant tout « la finance » et ceux qui se définissent en opposition au « capitalisme », autrement dit entre ceux qui ont mis en avant la critique radicale des puissances financières et ceux qui basent leur action sur la critique du rapport capital/travail. Concernant les défis écologiques, il apparaît également plus nettement qu’ils ne peuvent être sérieusement abordés dans le cadre des logiques en cours. Confrontés aux offensives liées à la dette publique et à l’austérité, les différents mouvements sociaux, politiques, syndicaux, altermondialistes, écologistes pourraient se rapprocher dans leurs luttes face à une logique de plus en plus visiblement destructrice que chacun affronte à partir de ses propres objectifs. Le récent congrès de la CES montre que face au tournant que représente le « Pacte euro plus », le positionnement bascule vers une critique plus directe de la politique européenne et débouche sur une journée d’action européenne le 21 juin 2011. Il est significatif que se créent aujourd’hui de nombreux espaces publics autogérés – le mouvement « take the squares » montre les dimensions que cela peut prendre dans la période actuelle – ainsi que des lieux de travail pour dégager les convergences dans les luttes [21].
Le paysage politique continue d’évoluer. Les droites populistes s’installent durablement [22]. Les majorités de droite au pouvoir en Allemagne et en France, qui structurent aujourd’hui l’action européenne, se voient de plus en plus fragilisées dans leur propre pays. Ainsi la citadelle de la droite française, le Sénat, passe à gauche [23] pour la première fois dans la Ve République [24]. Le CDU allemand enchaîne les échecs aux élections régionales et voit le FDP, son partenaire gouvernemental, s’effondrer. En même temps, Papandréou, le Président de l’Internationale socialiste, accepte le diktat de la troïka qui plonge son pays dans une catastrophe sans fin. Dans les prochains mois, notamment lors de la campagne électorale en France, les contradictions vont s’accentuer au sein de la social-démocratie européenne.
Pour la gauche politique, les conséquences de la grande crise et les transformations du paysage politique constituent des défis inédits. Face aux processus de désagrégation des sociétés, face à l’effritement de l’hégémonie néolibérale, il s’agit d’œuvrer en faveur de l’émergence d’une nouvelle hégémonie culturelle et politique.