Les leçons de la primaire socialiste
La gauche de transformation a porté un regard très critique sur la primaire socialiste organisée en octobre dernier. Elle lui reprochait, notamment, son absence de démocratie : la présidentialisation à outrance comme horizon indépassable du système alors que l’enjeu est une 6e République qui revivifie la démocratie et assure une véritable souveraineté populaire ; la primauté du débat sur les personnes au détriment de la confrontation d’idées et de projets ; l’enfermement dans le bipartisme en éliminant de la scène politique tout ce qui n’est pas LA droite incarnée par l’UMP et LA gauche incarnée par le Parti socialiste.
Qu’on le veuille ou non, force est de constater que les trois millions d’électeurs environ qui se sont déplacés n’en ont pas jugé ainsi et que, pour eux, cette primaire était un authentique moment démocratique.
Paradoxalement, sans rien enlever aux critiques concernant les atteintes à la démocratie, cette primaire montre qu’existe en France un véritable besoin de démocratie, une envie de dire son mot, de peser. On est ici à contre-courant des discours sur le rejet du politique, même si, autant qu’on puisse le mesurer, ceux qui se sont déplacés font – sur le plan social – le plus souvent partie des fonctionnaires, cadres et couches moyennes et n’appartiennent pas aux couches les plus populaires.
Deuxième enseignement : l’envie de chasser Sarkozy a trouvé là un fort moyen d’expression. On peut, sans grand risque, avancer l’hypothèse qu’une partie de ceux qui, dans la dernière période, se sont heurtés au mur dressé contre leurs revendications voient dans le départ de Sarkozy la condition sine qua non d’une inflexion des choix politiques en vigueur aujourd’hui. Selon un sondage Sofres du 2 octobre, 60 % des personnes interrogées pensent que le vainqueur des primaires a de grandes chances de remporter l’élection de 2012 et cette proportion s’élève à 73 % parmi les sympathisants de gauche. Cela témoigne du fait que les politiques, au premier rang desquels se trouve Nicolas Sarkozy, sont jugés responsables de ce qui se passe aujourd’hui. Il s’agit de l’envie affirmée d’autres orientations et choix politiques.
Troisième leçon : le succès inattendu d’Arnaud Montebourg, candidat de la primaire considéré comme le plus à gauche, renforce l’affirmation précédente. La popularité de son mot d’ordre « démondialisation » montre la force acquise par le besoin de « détricoter » l’ordre néolibéral qui régit la mondialisation actuelle. Certes, les idées développées par Arnaud Montebourg ne remettent pas en cause les fondements du système capitaliste mais certains y voient une telle perspective et on ne saurait que se réjouir de l’importance prise par les idées de rupture.
Bien que la lutte de personnes l’ait souvent emporté sur le débat concernant les propositions des uns et des autres, la primaire a permis de clarifier certains enjeux politiques, certaines contradictions portées par les différents candidats.
Les propos confus des différents candidats à la primaire, et de François Hollande en particulier, en ce qui concerne la dette publique montrent qu’ils ne font pas clairement le choix d’utiliser les ressources publiques au profit des besoins collectifs de la société et du développement du pays. Ils parlent de partager le coût de la crise entre banques, multinationales et salariés comme si ces derniers portaient la moindre part de responsabilité dans la crise actuelle. Sur le fond, ils ne sont nullement contre la règle d’or de l’équilibre budgétaire et ne portent pas le débat de fond sur les causes de ce déséquilibre. Il n’est pas vraiment question de mettre résolument en place une plus juste répartition des richesses entre capital et travail, une autre fiscalité qui pèse davantage sur les revenus des plus riches et du capital alors que c’est une des clés essentielles pour régler le problème des ressources et de la dette de l’Etat sans opérer des coupes claires dans les services publics et les revenus des salariés et des retraités.
La droite a beau jeu de faire du débat sur la dette son cheval de bataille car c’est bien un des points faibles des socialistes et de leur candidat à la présidentielle. La mise sous surveillance de la France par l’agence de notation Moody’s, vient à point nommé. Nul ne nous fera croire qu’il s’agit d’un simple hasard du calendrier. Ce pas de deux est réglé au millimètre près. On peut s’attendre à ce que la droite instrumentalise à fond cette question au cours de la campagne électorale pour porter un coup à la crédibilité du PS. François Hollande a d’ailleurs déjà commencé à prendre des distances par rapport au programme socialiste afin de répondre aux attaques de la droite concernant la faisabilité de ses propositions. Il n’est nullement question de justice sociale et de répartition des richesses dans son discours d’intronisation comme candidat. Il a insisté sur « les difficultés qui s’annoncent » et a déclaré que, s’il gagne la présidentielle, son action sera guidée par la nécessité de conserver la confiance des marchés financiers. Voilà qui a de quoi faire rêver la France du travail alors que les sondages confirment le décrochage de l’électorat populaire en faveur de la candidate du Front National.
Une des leçons essentielles à tirer de ces primaires est donc que l’enjeu des prochaines présidentielles n’est pas celui d’une simple alternance mais celui d’une véritable alternative.
Les divisions de la droite, le rejet de la politique gouvernementale, la colère des élus locaux face aux attaques contre la démocratie locale, à l’étranglement financier des collectivités territoriales et des services publics expliquent le renversement historique de majorité au sénat. Bien qu’on ne puisse pas assimiler les 72 000 « grands électeurs » à la grande masse du corps électoral, ce basculement a résonné comme un signal d’espoir pour les échéances de 2012. Il s’agit d’en faire un point d’appui pour une véritable alternative. Mais les sénateurs socialistes ne semblent guère à l’offensive et l’équilibre budgétaire semble leur seul horizon dans le cadre du débat budgétaire.
Les défis posés au Front de gauche
Pour le Front de Gauche, la voie n’est pas facile. Il s’agit de mettre au cœur du débat la question d’une véritable rupture avec les politiques actuelles. L’enjeu c’est la capacité du Front de Gauche à créer une véritable dynamique populaire de débat, d’échanges, une mobilisation politique profonde. C’est ainsi qu’en 2005, lors du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen, ce qui semblait au départ impossible est arrivé. La victoire du « non » est née d’une dynamique populaire qui a mené le débat au cœur même des entreprises et des quartiers populaires, à partir des préoccupations quotidiennes : emploi, services publics, salaire, démocratie, paix…
Le Front de gauche n’est pas die Linke et ne pourrait le devenir sans laisser de côté une partie de ce qui fait son originalité. En effet, les partenaires sont divers par leurs forces militantes, leur histoire, leur culture politique – allant de la social-démocratie à la gauche la plus radicale –, leurs orientations sur des questions importantes, leur ancrage dans la société. Ils n’entendent pas abandonner tout cela. Par ailleurs, et ce n’est pas le moins important, une fois laissés de côté les réflexes partisans encore trop souvent à l’œuvre au sein des forces politiques qui le composent, cette diversité peut être source d’une réelle dynamique populaire. Des forces diverses de la Gauche alternative, du mouvement social et syndical s’y sont agrégées. Des citoyens longtemps déçus par les politiques partisanes se retrouvent pleinement dans une dynamique de front mais ne trouveraient nullement leur place dans une structure partisane. C’est en effet là que réside un des plus grands défis posés au Front de gauche : être au service de l’émergence d’une véritable mobilisation populaire pour une politique de transformation sociale. Pour résumer, le Front de gauche se veut avant tout un front composé tout à la fois d’organisations politiques et de citoyens non organisés destiné à enclencher ce processus. Le peuple de gauche constitue sa colonne vertébrale. C’est dans cet esprit que se créent des comités locaux.
En France, comme dans de nombreux pays, le mouvement social fait preuve d’une forte capacité de mobilisation. Massivement, le peuple ressent la profonde injustice sociale des réformes imposées par la droite au pouvoir. Le rejet des politiques libérales et du modèle libéral va croissant. Mais aucune alternative n’est perceptible et on risque de se retrouver avec une simple alternance sur laquelle mise le PS, ce qui provoquerait une fois de plus colère et désillusion et ferait le jeu du FN. On peut faire le même constat un peu partout en Europe. Les élections qui ont suivi de grands mouvements sociaux montrent le fossé existant entre rejet du libéralisme, combativité sociale et perspective alternative. Ainsi, lors des élections cantonales de 2011, en France, l’abstention massive des couches populaires et le score du Front national sont des signes inquiétants. L’accentuation de la crise, le rejet massif de la réforme des retraites n’ont pas fait sensiblement bouger les rapports de force au bénéfice de la gauche de transformation.
Il y a donc beaucoup à faire pour dépasser les difficultés que nous affrontons, pour articuler mouvement social et dynamique politique, aspirations à la justice sociale, rejet du libéralisme et réponses politiques. Les luttes n’ont pas manqué au cours des dernières années mais, lorsqu’elles portaient sur les grandes questions sociales, elles étaient souvent « dos au mur » et ont buté sur l’offensive libérale ainsi que sur l’absence d’une perspective concrète de changement de politique.
Aujourd’hui, le modèle néo-libéral a perdu de sa légitimité aux yeux d’une partie croissante de la population. Le rejet d’un système injuste et inégalitaire s’exprime un peu partout en Europe. La gauche social-démocrate elle-même a accrédité l’idée que le politique est impuissant face à l’économique. Le programme du parti socialiste s’inscrit dans l’acceptation de la mondialisation libérale. François Hollande parle de « réalisme », de « raison », voire de rigueur et son discours sur la réduction de la dette est assez proche du discours de droite. A force de refuser tout changement en termes de rupture de logique, le PS reste enfermé dans des contradictions difficilement gérables. Malgré le succès remporté par la primaire socialiste, le fatalisme reste souvent dominant.
Face à la confrontation de plus en plus dure dans les pays européens la question de leur coopération, se pose sous des formes inédites à toutes les forces qui cherchent à résister et à enclencher une logique alternative. On voit à quel point l’unité sur la base de contenus porteurs est un élément moteur de mobilisations. Récupérer le pouvoir sur le politique pour l’exercer en faveur de l’intérêt général devient un enjeu populaire. Des expériences récentes comme les mouvements « take the square » montrent l’irruption dans le champ politique de nouvelles forces et de nouvelles formes, aux aspects parfois contradictoires mais aussi très stimulants pour innover en politique.
Aujourd’hui, on ne peut plus penser qu’il suffit de faire confiance aux partis politiques pour porter les revendications sociales et syndicales dont ils se feraient les relais : l’échec de la période du « programme commun » de 1972, les « années Mitterrand » et Jospin qui ont conduit à la désillusion et au dégoût de la politique montrent qu’on ne peut éluder cette question. Pour de larges parties de l’opinion publique, la gauche ne signifie plus guère progrès social, justice sociale, ou défense des intérêts populaires.
Organisations syndicales, mouvements sociaux et citoyens se méfient encore souvent des partis politiques et ont pris de la distance à leur égard. Mais dans les réalités dramatiques que vivent nos sociétés, on se trouve confronté au problème du traditionnel partage des tâches, qui enferme chacun dans son rôle et rend extrêmement difficile toute interaction porteuse d’alternative. Les réflexions allant dans le sens de « fronts de lutte » à bâtir constituent des chantiers de recherches innovants.
Créer une nouvelle dynamique sociale et politique
Rassembler toutes les forces disponibles – dans le respect de leur identité et de leur autonomie – nécessite une profonde remise en cause et une nouvelle ambition de la part de chacun des acteurs. Cela demande d’en finir avec l’idée de supériorité du politique et exige un changement dans la conception du rôle et de la place des partis ; ce travail a déjà commencé, notamment au sein du Parti communiste ; sa proposition d’un Front de Gauche, lors de son 34ème congrès en 2008, le choix majoritaire fait par les communistes de Jean-Luc Mélenchon comme candidat à la présidentielle de 2012 en témoignent. L’élargissement du Front de Gauche à de nouvelles organisations à caractère politique et son ouverture à l’adhésion individuelle de citoyens organisés ou non est également un signe encourageant. Les mouvements sociaux, de leur côté, peuvent, par leur irruption sur le terrain politique mettre au cœur du débat public leurs exigences concernant le sens du politique et le fonctionnement des pouvoirs dont ils sont porteurs.
Le Front de gauche a pour ambition d’apporter des réponses claires aux attentes sociales, de mener un dialogue à égalité avec les forces du mouvement social pour élaborer les propositions alternatives qui s’opposent aux logiques libérales. En affrontant les problèmes de l’insécurisation sociale, au premier rang desquels se trouvent le chômage, la précarité, la pauvreté, la peur du déclassement, l’aggravation des inégalités et des injustices de toutes sortes, il veut renouera avec les classes populaires trop longtemps laissées à elles-mêmes, tout en s’adressant aux couches moyennes dont une partie croissante se sent menacée et s’appauvrit.
Si la Gauche n’est pas capable d’apporter des réponses crédibles à ces enjeux, le rejet de l’injustice sociale sera récupéré par le Front national. On voit d’ailleurs que le FN ainsi que l’UMP retravaillent la question sociale, mais sous un angle qui détruit toute approche solidaire : dorénavant, l’accès à des prestations sociales ne serait plus fondé sur les droits sociaux ou démocratiques mais sur le mérite (pour l’UMP) et l’appartenance à la communauté nationale (pour le FN).
En étant à l’offensive sur toutes ces questions et en donnant toute leur place aux forces du mouvement social, le Front de gauche cherche à acquérir la crédibilité qui lui fait encore défaut. Il met publiquement au cœur des enjeux la transformation de la société et la rupture avec les logiques capitalistes. Il met en avant un programme, les voies et moyens du changement et veut créer la dynamique d’un projet. On peut d’ailleurs noter que plus de 200 000 exemplaires de son « programme populaire partagé » pour les échéances de 2012, intitulé « l’Humain d’abord », ont été vendus en moins d’un mois. Il s’agit avec ces propositions de mettre à bas la résignation et le fatalisme. Le Front de Gauche a, par ailleurs, déjà essuyé le feu électoral en 2009, 2010 et 2011, lors des élections européennes, régionales et cantonales. Ses scores électoraux [1] ont été plutôt encourageants bien qu’encore bien loin de répondre aux espoirs et sur un fond d’abstentions très important.
Ces premiers succès témoignent d’un début de dynamique porteur de perspectives.
Le Front de gauche s’est fixé pour ambition la création d’une véritable dynamique populaire dans laquelle chacun trouvera sa place, pourra intervenir, démultiplier partout des initiatives citoyennes multiformes et enraciner ainsi un nouvel espoir à gauche. Les partis qui sont à son initiative sont confrontés à un important travail de construction, tout en s’affranchissant de logiques partisanes bloquantes. Déjà, à certains endroits, citoyens et acteurs du mouvement social parviennent à trouver leur place dans le cadre d’initiatives lancées par les comités locaux. Le Conseil de campagne du Front de gauche est constitué de 118 personnalités qui montrent la diversité du mouvement et témoignent de possibilités réelles de renouer en profondeur avec la société et les mouvements sociaux : syndicalistes, responsables associatifs, artistes, élu-e-s… les prises de position publiques d’acteurs du mouvement social, la mise en place d’ateliers législatifs destinés à élaborer collectivement des projets de loi et à mettre en œuvre le projet politique commencent à développer une dynamique autour de la construction d’une vraie politique de transformation sociale. Les premiers balbutiements le montrent, la voie semble difficile mais prometteuse.