• Bref bilan de cinq ans d’élections parlementaires chez les 27

  • 21 Jun 11
  • Cet article a été écrit à partir des résultats des élections législatives dans les vingt-sept pays de l’Union européenne, au cours de la période 2004-2008. Cela permet de faire un panorama des différentes forces politiques à la veille du scrutin européen qui se tiendra du 4 au 7 juin. De ce bilan, on tire au moins deux enseignements. La social-démocratie européenne apparaît faible. Les tentatives de « normalisation politique » au nom du bipartisme semblent être un mirage. L’Europe reste encore le continent du pluralisme politique.

    Dur d’être social-démocrate... En 1999 encore, douze gouvernements sur les quinze États que comptait alors l’Union européenne (UE) avaient une direction socialiste ou sociale-démocrate. Aujourd’hui, ils sont quatre sur l’Europe à quinze, et sept grâce aux Etats-membres qui ont rejoint l’UE depuis. Avec Chypre dirigé par un communiste, cela ne fait que huit gouvernements de gauche sur vingt-sept. 2007 a été l’année noire : pas une seule victoire lors d’une législative nationale. Toutes les majorités de droite ont été reconduites cette année-là. 2008 a vu la droite reconduite là où elle dirigeait, à l’exception de la Slovénie.

    L’an dernier, deux des gouvernements de gauche qui devaient affronter les urnes se sont vus remplacer par des gouvernements à direction de droite. La Lituanie est passée à droite. L’Italie est passée de Romano Prodi (démocrate-chrétien de centre gauche) au milliardaire Silvio Berlusconi. Pis, pour les socialistes, avec l’élection d’avril 2008, le Parti socialiste européen – l’organisation qui regroupe les forces socialistes, sociales-démocrates et travaillistes en Europe – n’a plus formellement de représentation au Parlement italien. Les Démocrates de gauche (issus de l’ancien Parti communiste italien en 1992) qui étaient adhérents de l’Internationale socialiste ont choisi de fonder avec la Marguerite (ancienne aile gauche de la Démocratie chrétienne) le Parti démocrate. Un débat est engagé dans ce parti sur l’affiliation internationale, mais un secteur important de la formation penche davantage pour l’adhésion à l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ALDE). Francesco Rutelli, un des leaders de ce parti, est l’un des fondateurs de l’ALDE.
    Quand la gauche dirige, elle le fait souvent en grande coalition ou sans majorité absolue au Parlement ou dans les urnes. Le premier cas se présente en Autriche où le Parti social-démocrate se maintient à la direction du gouvernement en alliance avec le Parti populaire autrichien (ÖVP, droite). Une victoire qui ne doit pas masquer qu’il enregistre son plus bas score depuis plus d’un siècle. Le Parti socialiste bulgare (PSB) du Premier ministre Sergeï Stanichev l’a emporté en 2005 avec seulement 35 % des voix, le conduisant à s’allier avec deux formations affiliées à la ALDE en Europe, le parti du Premier ministre précédent, le Mouvement national Siméon II (19,9 %), et le parti de la minorité turque, le Mouvement pour les droits et libertés. À Chypre, seul pays de l’UE dirigé par un parti communiste, le Parti progressiste des travailleurs (AKEL) ne tient le pouvoir que grâce à l’élection à la présidence de la République de Dimitris Christofias, dans le cadre d’un régime présidentiel. La majorité parlementaire comprend les socialistes (8 %) et l’appui de l’un des partis de droite (1). Au Royaume-Uni, le Parti travailliste ne doit sa majorité parlementaire qu’à un mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour qui transforme 35 % des voix en 54 % de sièges (355 sur 646).

    Car à l’échelle de l’Europe, le Parti socialiste européen (PSE) apparaît comme en perte de vitesse. Il obtient 32 % des voix durant la période ici décrite. C’est la famille politique la plus cohérente. Il n’a en général qu’un parti membre par pays, ce qui n’est pas le cas des groupes de droites comme le Parti populaire européen (PPE) et Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ALDE, centre droit), qui ont parfois deux ou trois membres par État. En moyenne, dans les élections législatives entre 2004 et 2008 (2) dans les États membres de l’UE à 27, les socialistes ont obtenu 32 % des suffrages (27,5 sans le Parti démocrate italien (3)). Dans seulement quatre pays ils obtiennent plus de 40 % (4). Dans trois autres ils obtiennent plus de 35 %. C’est dire si le discours à gauche dans certains pays comme l’Italie ou la France par les forces de centre gauche, qui invoquent la « normalité européenne » d’une grande force de gauche à 35 %, n’est pas empreint de réalité. Au total, seuls treize pays ont une force sociale-démocrate qui dépasse 30 %. Par ailleurs, si le Nord-Ouest de la Baltique a été cité comme modèle social-démocrate (même si la social-démocratie n’exerce plus le pouvoir dans ces pays-là), le Sud-Est baltique apparaît comme un trou noir pour les socialistes. Ils enregistrent des scores inférieurs à 15 % en Pologne (13,2 %), Lituanie (11,7 %), Estonie (10,6 %) et n’assurent qu’une présence confidentielle en Lettonie (3,5 %). Outre cette zone, le PSE est faible en Irlande (10,13 %) et à Chypre (8,9 %). Dans ce dernier pays, c’est AKEL (communiste) qui est la première force du pays. Les partis du PSE sont première force politique dans neuf pays et deuxième dans neuf autres. Dans les autres, ils sont soit troisième, soit encore derrière.

    Les autres forces politiques

    Les alliés potentiels à gauche pour les partis nationaux du PSE sont faibles. Les partis qui se reconnaissent dans le groupe parlementaire Verts/Alliance libre européenne à Strasbourg ont obtenu sur la période 2004-2008 3,5 % des suffrages aux élections législatives nationales. L’Alliance libre européenne regroupant des forces régionalistes ou indépendantistes (5), les partis écologistes en tant que tels obtiennent 3 %.
    Les forces de la Gauche unie européenne (GUE), du Parti de la gauche européenne et les communistes obtiennent 5 % des suffrages. Elles ne participent plus aux gouvernements au niveau national. Les forces qui s’y sont essayées ces dernières années ont perdu en influence : Refondation communiste en Italie (jusqu’en 2008), le Parti communiste français (entre 1997 et 2002). Généralement, les poussées électorales sont le fait, pour ce groupe, de forces n’ayant pas encore vécu une expérience gouvernementale. Leurs meilleurs scores, les partis membres de la GUE les réalisent à Chypre : AKEL y recueille 31,2 %. Ils dépassent 10 % aux Pays-Bas (16 % pour le Parti socialiste), au Danemark (avec le Parti socialiste populaire à 13 %), en République tchèque (le Parti communiste de Bohême Moravie fait 12,8 %). En Grèce et au Portugal, deux partis conséquents se présentent séparément aux suffrages des électeurs. En Grèce, le Parti communiste a fait 8,1 % et la coalition Syriza 5 % lors des législatives de 2007. En 2005 au Portugal, le Parti communiste portugais a réalisé 7,5 %. Le Bloco de Esquerda 6,3 %. Dans six pays, les partis membres de la Gauche unie européenne réalisent donc plus de 10 % et dans quatre autres plus de 5 % (Allemagne, Finlande, Irlande, Suède). Le seuil des 3 % est dépassé en Espagne, en Italie (6), en Slovaquie et en France. En Allemagne, on trouve Die Linke, fusion des postcommunistes du PDS et de la WASG formée par différentes composantes de gauche dont les forces ayant fait scission de la social-démocratie.

    L’implantation des forces de transformation est le fait de forces politiques diverses. Au Nord de l’Europe, on trouve les forces de la Gauche verte nordique. L’Europe latine et hellénique voit, lors des dernières élections, la prédominance au sein de la GUE des forces communistes, tout comme en ex-Tchécoslovaquie. 60 % des voix recueillies par ce groupe de partis proviennent de forces de gauche, 24 % de partis communistes et 16 % de coalitions où le PC est la force la plus importante (Italie, Espagne). Par ailleurs, à la gauche de la GUE, les partis d’extrême gauche ont recueilli 0,5 % des voix dans les diverses élections. C’est en France que les forces d’extrême gauche sont les plus fortes (3,4 %), suivie de l’Italie (1,7 %) et du Portugal (0,9 %). L’ensemble des familles de gauche recueillent donc 41 % des voix (GUE, PSE, Verts et extrême gauche), contre 48 % pour la droite (PPE, ALDE, centre droit). Les forces adhérentes au Parti populaire européen (PPE) recueillent 38 % des suffrages. Celles adhérentes à l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ALDE) ou au Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs (ELDR), 9,5 %. Divers partis non affiliés de centre droit obtiennent 0,5 %. Tout se passe comme si, dans certains pays, la droite est capable de faire l’alternance en son sein. C’est ce qui s’est passé en France avec l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007. En Lettonie le premier gouvernement tombé du fait de la crise, suite à des manifestations d’une ampleur inconnue depuis l’effondrement de l’Union soviétique, a laissé place à un autre gouvernement de droite sans qu’aucune élection n’ait eu à se tenir.

    C’est un parti de droite qui sort premier des urnes dans quinze pays et second dans onze autres pays (7). Dans 21 pays, la droite obtient deux des trois premières places. Dans les pays Baltes, les trois premiers partis sont des partis de droite.
    Enfin, les populistes de droite et souverainistes obtiennent 7,5 % des voix. On compte dans cette catégorie les partis proches de l’Alliance européenne des nations (AEN) qui obtiennent 4 %. Et les partis d’extrême droite (dont ceux du groupe eurosceptique Indépendance/Démocratie) qui obtiennent 3,5 %. Si 7,5 % semblent peu, on compte de fortes variations selon les États membres. Dans certains pays les forces de l’AEN arrivent en deuxième position (Pologne) ou troisième (Italie, Lituanie). En Autriche, la troisième force est le FPÖ qui obtient 17 %, suivi par le BZÖ (10,7 %), tous deux d’extrême droite.

    Le bipartisme n’a pas encore gagné

    Entre tous, le temple du bipartisme est Malte. Les deux principaux partis y recueillent... 98,1 % des suffrages ! Les Verts doivent s’y contenter d’1,3 %. La tendance au bipartisme est invoquée par les différents partis de gauche radicale pour expliquer leurs difficultés. En fait, joue surtout un appel des forces de centre gauche au vote utile qui est d’autant plus efficace que la gauche dans son ensemble est faible. Cependant les autres familles politiques ne semblent pas souffrir du bipartisme.
    Le bipartisme est évoqué au nom de l’efficacité par les grandes forces politiques pour faire évoluer les règles électorales à leur avantage. C’est le cas des réformes du mode de scrutin en Italie cette année. Cela a été le cas pour les régionales et les élections européennes en France, lors du gouvernement Raffarin.
    Il reste que ce bipartisme est pour une part fantasmé. Le modèle montré souvent en exemple, le Royaume-Uni, ne correspond pas à la réalité de ce pays, avec l’augmentation du Parti libéral démocrate. Dans ce pays au scrutin majoritaire uninominal à un tour, censé favoriser un bipartisme parfait, le PLD obtient plus de 22 % et les deux grands partis 67,6 % seulement. En Allemagne, CDU et SPD ne peuvent plus se prévaloir de scores aussi importants qu’il y a quinze ans. Plus généralement, chez les Vingt-sept dans huit pays seulement les deux principales forces politiques obtiennent plus de 70 % des suffrages. Et dans quinze seulement, plus de 60 %. Dans cinq pays, elles font moins de 50 %. La norme semble être d’avoir deux forces situées entre 50 et 70 %. C’est le cas dans quatorze États.
    Le bipartisme n’a donc pas encore remporté la partie. Dans la plupart des cas, il existe un espace important pour d’autres partis que ceux qui dominent le jeu politique. La question est de savoir pourquoi ce n’est pas la gauche de transformation qui parvient à l’occuper.

    Notes

    1. La République de Chypre constitue un cas particulier où la question nationale est prédominante du fait de l’occupation de 40 % de son territoire par la Turquie depuis 1974.
    2. Dans les cas où deux élections se sont tenues sur la période, nous avons choisi la plus récente comme référence.
    3. Comme nous l’avons vu plus haut, le Parti démocrate n’a pas encore formellement choisi entre affiliation au Parti socialiste européen et Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe. Le plus gros des troupes provenant des Démocrates de gauche qui pesaient entre 20 et 26 % des voix ces dernières années, nous avons par commodité choisi de classer ce parti dans la famille socialiste.
    4. Les pays où il enregistre plus de 40 % des suffrages sont Malte, l’Espagne, la Hongrie et le Portugal. Les forces du PSE obtiennent plus de 30 % dans les pays suivants : Malte, Espagne, Hongrie, Portugal, Italie, Grèce, Royaume-Uni, Slovénie, Roumanie, République tchèque, Suède, Bulgarie et Allemagne.
    5. Pour exemple, en Espagne on trouve le Bloc national galicien, la Gauche républicaine catalane. Pour les droits de l’homme dans une Lituanie unie regroupe des russophones. Le Parti national écossais et le Plain Cymru (Pays de Galles) font également partie de ce groupe. Plus généralement, les forces régionalistes ou représentatives des minorités sont réparties dans les différents groupes (GUE, PPE, ALDE, etc.) Les régionalistes non affiliés ont recueilli 0,5 %.
    6. En Italie, la coalition de la Gauche/l’Arc-en-ciel comprenait le Parti de la Refondation communiste, le Parti des communistes italiens, mais aussi les Verts et la Gauche démocrate (PSE). Dans le cadre d’élection en coalition, nous avons choisi de mettre leurs voix au compte de la famille européenne de la force la plus importante de la coalition.
    7. En comptant les partis membres de l’AEN.