Cette édition 2009 du Forum social mondial (FSM) se déroule pendant l’année de tous les dangers. Comme l’a parfaitement indiqué le président équatorien Rafael Correa lors de la rencontre mouvements sociaux/ présidents progressistes d’Amérique latine organisée, entre autres, par le Mouvement des sans terre et la Via Campesina le 29 janvier, « nous ne vivons pas une époque de changements mais un changement d’époque ».
Nous sommes, en effet, face à une multiplication de crises – financière, économique, énergétique, alimentaire, climatique, géopolitique – qui, en s’additionnant et en se combinant, engendrent une crise systémique dont la nature est inédite. Première crise du monde « globalisé », elle nous amène à élargir notre champ d’analyses par rapport aux transformations que nous souhaitons pour le monde. Il ne s’agit plus seulement de s’opposer à la phase néolibérale du capitalisme (celle-ci touche à sa fin) mais au capitalisme lui-même et à ses institutions. C’est ici que la question de la multipolarité se pose avec urgence. Pourquoi ? Tout d’abord parce que la situation actuelle disqualifie les institutions financières internationales (IFI), et notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale dont les politiques ont largement facilité la course vers le précipice. Il ne faut pas oublier l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a imposé le dogme du libre-échange dans le monde. Comme nous le savons, le développement sans entraves des échanges et du commerce international n’est pas soutenable du point de vue environnemental et social.
Or, ce sont à ces institutions que les gouvernements souhaitent donner un rôle central pour régler la crise globale lors de la prochaine réunion du G20 qui se tiendra à Londres le 2 avril. Nous devons nous opposer frontalement à cette opération qui vise à demander à ceux qui ont causé la crise de la réparer ! La réunion de cet illégitime G20 sera une occasion importante pour les mouvements sociaux de faire entendre leur voix pour la mise en place d’une véritable multipolarité fondée sur plusieurs revendications.
La mise en place d’un nouveau système démocratique fondé, entre autres, sur le respect de tous les droits humains, la satisfaction des besoins sociaux, le travail décent, la souveraineté populaire, la souveraineté alimentaire, le respect de l’environnement, la diversité culturelle.
Ces perspectives s’opposent au modèle politique issu du Consensus de Washington : la gouvernance mondiale.
Prôné à Davos – encore cette année – par les gouvernements, les multinationales et les IFI, ce modèle repose sur l’idée que les affaires du monde doivent être prises en charge par les acteurs économiques et les gouvernements, sans les peuples et sous l’influence de l’hégémonie des économies du centre du capitalisme, notamment celle des États-Unis.
Ce modèle totalitaire est fortement fragilisé par la crise globale, l’échec de la politique des faucons en Irak et en Afghanistan, la renaissance de l’Asie et de la Russie, les nouvelles tendances à la régionalisation des économies, l’émergence de pôles politiques en rupture avec le modèle néolibéral (comme l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique – Alba – en Amérique latine). De fait, l’hégémonie occidentale est bouleversée par l’établissement de ces nouveaux rapports de forces qui produisent la mise en place d’une nouvelle hiérarchie internationale. Dans ce contexte, l’attitude et l’action de l’administration Obama auront une grande importance.
Dans le même temps, de nouvelles tensions, relativement indépendantes de la crise elle-même, sont à attendre : guerres du Proche-Orient, marginalisation de l’Iran, tensions Inde-Chine, Inde-Pakistan, etc.
Ainsi, plus que jamais, le besoin de multipolarité et d’internationalisme solidaire est urgent. C’est ce à quoi le mouvement altermondialiste doit travailler. Il peut, pour cela, s’appuyer sur l’affaiblissement considérable de l’hégémonie idéologique du néolibéralisme auquel il a significativement contribué.
Mais, dans le même temps, il doit aboutir à l’élaboration d’une analyse commune de la crise actuelle et refuser le nouveau paradigme capitaliste en cours de formation : le « capitalisme vert » et le « Green New Deal » mondial promu par les États-Unis et l’Union européenne. Sous sa bannière, les « élites » économiques et politiques tenteront de sauver la légitimité et la crédibilité du système et développeront de nouvelles alliances idéologiques entre néolibéraux en déroute consentant à limiter (momentanément ?) certains aspects parmi les plus fondamentalistes du libéralisme – l’autorégulation des marchés – pour en sauver le cœur, et des néo-keynésiens autour de la non remise en cause du productivisme.
Enfin, et c’est là son plus grand défi, il doit repenser sa relation aux expériences politiques concrètes de remise en cause du système capitaliste, notamment en Amérique latine, et contribuer à des convergences entre acteurs sociaux, politiques et, sous des formes à déterminer, institutionnels comme les gouvernements.
Certains, notamment ceux de l’Alba – où se construisent des articulations très avancées entre mouvements sociaux et gouvernements –, constituent des points d’appui inédits pour son action (1).
Note