La péninsule des Balkans a joué un rôle particulier dans l’imaginaire politique européen. Au cours de la plus grande partie de l’histoire contemporaine, cette région est apparue comme une sorte de terre barbare infâme. « Barbare » au sens premier du terme : un peuple qui parle une langue incompréhensible. Pas seulement au sens linguistique : la barbarie était généralement, et surtout, associée au (faible) niveau de développement de la civilisation (culture, politique et économie). Par rapport à tous ces aspects, les Balkans étaient, et restent plus ou moins, considérés comme la région arriérée de l’Europe. Cela nous amène à la définition la plus courante du mot « barbare » : peuple rustre, primitif, agressif, chaotique, indiscipliné, etc. Les États-Unis avaient eu leur Ouest sauvage, l’Europe avait le Sud-est sauvage. L’imaginaire politique collectif européen a rapidement accusé les Balkans d’être une cocotte- minute bouillonnant de conflits potentiels, toujours prête à exploser et à asperger au passage les nations européennes plus civilisées. Comme l’a fait remarquer Otto von Bismarck en 1888 : « Un jour, la grande guerre européenne éclatera à cause d’une fichue idiotie dans les Balkans. »
Afin de bien comprendre la situation contemporaine dans l’ancienne Yougoslavie, il importe de s’attarder sur la Seconde Guerre mondiale. Outre les partisans emmenés par Josip Broz Tito, le secrétaire général du Parti communiste yougoslave qui était encore à cette époque un fervent supporter de Staline et un membre du Komintern, d’autres forces étaient à l’œuvre qui, malgré le rôle marginalisé de leurs ancêtres politiques du temps de la République fédérative socialiste de Yougoslavie (RSFY), avaient réussi à se faire entendre en politique et à susciter une sympathie sociale depuis la scission.
Ces forces collaboraient ouvertement avec l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste et avaient, à différents degrés, acquis des soutiens et une certaine autonomie. C’était principalement le cas de l’État indépendant de Croatie, dirigé par Ante Pavelić et son régime oustachi fasciste. Les oustachis étaient réputés pour leur brutalité et leur soif de sang et, bien souvent, surpassaient et dégoûtaient même les nazis. Il en va ainsi du camp de concentration de Jasenovac, où plus de 100 000 juifs, gens du voyage, communistes, homosexuels, musulmans, serbes et autres ont péri. Les Serbes se sont vu réserver un niveau de férocité et de brutalité particulier, avec l’invention du « couteau serbe », une arme en forme de griffe que les oustachis attachaient à leurs poignets pour accélérer le massacre des prisonniers.
D’autres régions, en revanche, n’ont pas joui de la même autonomie que l’État indépendant de Croatie (qui englobait toute la Bosnie- Herzégovine, ainsi que certaines parties de la Serbie actuelle) : elles ont été soit annexées, comme la Slovénie dont le territoire a été partagé entre l’Allemagne, l’Italie et la Hongrie, soit dotées d’un gouvernement fantoche, comme en Serbie. Dans ces cas, certaines forces politiques ont également collaboré avec les fascistes. En Serbie, les tchetniks, sous les ordres du général Draže Mihajlević, étaient dévoués à l’ancien roi de Yougoslavie (alors exilé à Londres) ; au début, ils partageaient même la lutte contre le fascisme avec les partisans de Tito, avec lesquels ils avaient formé une coalition ad hoc, avant d’opter pour la collaboration avec les nazis. Il faut enfin citer les domobranci slovènes, qui avaient prêté allégeance à Hitler, étaient soutenus par certaines parties de l’Église catholique et se présentaient comme une sorte de rempart contre le harcèlement de la population civile par les partisans et la perspective d’une hégémonie politique totale du Parti communiste. Toutefois, ce qui s’est passé à la fin de la guerre et après a aussi une importance cruciale pour comprendre les antagonismes contemporains.
Les Allemands, les oustachis, les domobranci et autres ont essayé de fuir en Autriche pour se rendre aux Alliés, une perspective qui semblait un peu plus engageante que d’affronter la colère de la population locale. Malgré la capitulation de l’Allemagne et la signature de l’armistice, ces unités n’ont pas déposé les armes mais se sont reconverties en formations militaires. Deux semaines après la fin officielle de la guerre, des conflits armés étaient encore en cours avec les partisans. Lorsque ces unités ont finalement atteint le sud de l’Autriche, qui était sous contrôle des Britannique, ceux-ci ont refusé de les accueillir et les ont renvoyés en Yougoslavie, parfois par ruse en leur faisant croire qu’ils partaient en Italie. L’accord entre les Alliés prévoyait que chaque pays décide pour son peuple. Il va sans dire qu’à l’occasion de leur extradition vers la Yougoslavie, un grand nombre ont été liquidés sans procès, dans des circonstances douteuses ou sous un faux prétexte. En essayant de passer « de l’autre côté », ils avaient joué à la roulette russe, mais à leur retour on a considéré qu’avec leur fuite ils avaient signé eux-mêmes leur arrêt de mort.
Aussi brutales que puissent paraître ces exécutions extrajudiciaires aujourd’hui, il est impossible de les comprendre hors du contexte dans lequel elles ont eu lieu et que nous venons de mentionner. Ces exécutions d’après-guerre ont été pratiquées partout en Europe, mais dans une mesure relativement moindre. Elles ont été d’une ampleur beaucoup plus grande dans lle Nord-est de la Slovénie, où des affrontements ont eu lieu pendant les deux semaines qui ont suivi la signature du traité de paix. En raison de la plus grande concentration de la population, et donc des soldats armés, le pourcentage de meurtres et leur nombre absolu ont également été beaucoup plus élevés. Dans la mesure où la Yougoslavie et ses dirigeants communistes se sont retrouvés du bon côté de l’histoire, ils ont quasiment réussi une autolibération totale. Ils ont même osé défier Staline par la suite, la Ligue des communistes de Yougoslavie est ressortie de la guerre avec l’image d’un vainqueur politique et moral. Pendant ce temps, les collaborateurs étaient bien sûr poursuivis en justice et unanimement considérés comme des traîtres pour avoir aidé les forces qui avaient ouvertement décidé de réduire en esclavage ou d’exterminer les races qu’elles jugeaient inférieures.
La Yougoslavie a apporté au mouvement socialiste mondial de nombreuses idées originales, allant de l’autogestion socialiste (par opposition à l’économie soviétique) au mouvement non aligné contestant la constitution bipolaire du monde. Elle est devenue une force influente au sein de l’Organisation des nations unies. Cependant, le renouveau d’après-guerre s’est, à bien des égards, essoufflé au début des années 1970, une période qui, lorsqu’on analyse les sociétés occidentales, marque généralement le début du néolibéralisme. Les processus similaires qui ont eu lieu au sein du Bloc de l’Est, de même qu’en Yougoslavie, ont été quelque peu négligés. Le monde en général a bénéficié d’une croissance économique stable depuis la Seconde Guerre mondiale, tandis qu’une autre partie est globalement entrée dans une certaine période de stagflation au cours des années 1970. Ne nous fions pas aux apparences : malgré l’absence d’émules de Reagan en Yougoslavie et dans l’Union soviétique, cela ne veut pas dire que ces régions n’ont pas fait l’objet de tentatives sérieuses de libéralisation du marché, mises en œuvre à petite échelle seulement.
Dans presque toutes les républiques yougoslaves, des courants libéraux au sein des branches de la Ligue des communistes de Yougoslavie ont voulu libéraliser et déréguler l’économie. Comme il s’agissait d’une lutte interne au parti, et que le courant libéral était minoritaire, la majorité orthodoxe plus dure, dirigée par Tito lui-même, l’a finalement emporté. Même si cette tentative de libéralisation a échoué et que l’unité et le rôle central du parti ont été maintenus, la victoire, comme on l’apprendra plus tard, n’a été que temporaire. D’une part, le spectre des idées libérales rôdait toujours. Dans les années 1980, lorsqu’en Slovénie par exemple, la société civile s’est montrée de plus en plus critique à l’égard des autorités fédérales et, dans une mesure légèrement moindre, de la république également, on s’est référé explicitement au libéralisme avorté de la décennie précédente. Le libéralisme au sens politique, à savoir l’autonomie et l’indépendance de la société civile, le respect des droits de l’homme et le système multiparti, ainsi que le libéralisme économique faisaient maintenant leur retour et le système n’y pouvait rien. L’une des raisons à cela étant qu’ils devenaient la doctrine officielle de l’Ouest avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan, concrétisant l’adoption mondiale du néolibéralisme que nous avons déjà évoquée, et cela même si ces courants avaient été contenus au sein du Bloc de l’Est. La forme de cohabitation d’après-guerre prenait fin et la lutte de pouvoir à l’échelle du monde, initiée par des politiques telles que la « Guerre des étoiles » de Reagan, allait se traduire par la contestation finale du socialisme existant, qu’elle ne pouvait pas supporter.
Cette pression politique mondiale allait de pair avec une pression économique, comme dans le cas de la Yougoslavie, qui a progressivement dû, afin de se voir accorder de nouveaux prêts ou extensions de prêt du Fonds monétaire international, changer (c’est-à-dire libéraliser et déréguler) son économie. Le courant libéral était donc à la fois interne et externe et a finalement réussi à renverser la structure d’État socialiste. Néanmoins, on ne peut pas se contenter de dire que le libéralisme est le seul responsable de l’éclatement de la Yougoslavie. Une force presque aussi puissante et qui a dû être contenue en permanence, en faisant des concessions, a bien sûr été le nationalisme dans la mesure où le slogan principal de la Yougoslavie, sans cesse répété, était : « Fraternité et unité ». Le poids et l’importance accordés à l’unité nationale et à la fraternité des nations par la Ligue des communistes de Yougoslavie est indéniable. Ces valeurs étaient en effet essentielles pour bâtir un État et la société sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, caractérisée presque exclusivement par un nationalisme extrême, une épuration ethnique et même un génocide. Ceci dit, la question des nations et des nationalités était très délicate, car beaucoup plus complexe qu’un rejet généralisé du libéralisme par la direction du parti. D’une part, la Ligue a dû maintenir un équilibre stable entre la nation et les nationalités, et même tirer parti de leur solidarité et de leur unité. D’un point de vue plus positif, elle a essayé de développer prudemment certains éléments d’origine de l’identité yougoslave, en évitant les mesures trop agressives risquant de déstabiliser rapidement l’équilibre des nations. En dépit des droits égaux octroyés à toutes les langues, le serbo-croate a été, de fait, la lingua franca de la Yougoslavie.
Là encore, la situation linguistique dans l’ex-Yougoslavie est aujourd’hui curieuse puisque le serbo-croate, auparavant langue principale, a été remplacé par l’acronyme BHS (bosnien, croate et serbe) et que, récemment, le monténégrin a même commencé à s’y développer. Dans la mesure où ces langues ont beaucoup plus de points communs que de différences, leurs différences grammaticales ont, dans les années 1990, été créées de toute pièce, exagérées, etc. Alors qu’en Yougoslavie, tous les étudiants devaient suivre des cours en serbo-croate, ces derniers ont immédiatement été abolis en Slovénie après la proclamation de l’indépendance. L’une des tristes conséquences de cela est que les jeunes, notamment ceux qui n’avaient que peu ou pas de liens avec l’espace culturel de l’ex-Yougoslavie, n’ont quasiment aucune connaissance du serbo-croate et ont pris aujourd’hui l’habitude de communiquer en anglais.
La période d’après-guerre a sans doute été la plus fructueuse sur le plan économique. En effet, un certain nombre de pays de la région restent toujours au-dessous du niveau de développement dont jouissait la Yougoslavie avant sa partition et la chute du socialisme existant. La transition régionale vers le capitalisme de marché s’est essentiellement caractérisée par un programme de libéralisation et de dérégulation agressives du marché ainsi qu’une privatisation des infrastructures publiques (énergie, santé, éducation, etc.). En plus d’une désindustrialisation, des processus d’asservissement politique se sont également mis en place. En dépit du large consensus politique selon lequel l’entrée dans l’Union européenne et l’OTAN était souhaitable et inévitable, le fait est que cette décision a porté de nouveaux coups à la souveraineté économique et politique des pays de la région. Par conséquent, la révision de la politique industrielle dans les Balkans doit tenir compte de cette souveraineté plutôt limitée, qui contraint des politiques industrielles trop radicales. Dans certains cas, une politique monétaire est également impensable (la Slovénie a rejoint l’UEM en 2007), alors que d’autres pays (le Kosovo et le Monténégro) utilisent l’euro comme monnaie nationale de fait. Dans d’autres cas encore, les comptes d’épargne sont liés à une monnaie étrangère, comme en Croatie avec le franc suisse. Quoi qu’il en soit, la majeure partie des Balkans utilise toujours sa propre monnaie et pourrait donc s’en servir à son avantage et pour accroître sa production industrielle (en ignorant pour une fois que cette initiative susciterait probablement une réaction négative de l’UE).
L’un des fondements de toute réindustrialisation significative est également le processus de nationalisation de certaines des infrastructures préalablement privatisées ayant une grande importance économique et stratégique. Dans de nombreux cas et notamment en Slovénie, une nationalisation de fait a déjà eu lieu pour une grande partie des entreprises non performantes, qui ont été renflouées à l’aide de prêts garantis et soutenus par l’État et sont aujourd’hui de nouveau vouées à être privatisées. Dans ces cas, une (re) nationalisation pourrait être plus rapide, mais alors le pays devrait inévitablement faire face à l’UE et à son mécontentement à l’égard de telles politiques. Cela nous amène à la réalité fondamentale de cette région : divisée, elle n’a tout simplement aucune chance et est vouée à demeurer à la périphérie des pays européens clés.
Ce que nous avons essayé de montrer plus haut, c’est la situation politique contemporaine à laquelle font face les forces progressistes de la région. Pour ce faire, nous avons dû passer rapidement en revue ces dernières décennies afin de montrer que les acteurs politiques en place ont tous des racines dans cette période. Les forces démocratiques libérales revendiquent généralement un lien avec les tentatives de libéralisation des années 1970 et ses protagonistes, ainsi qu’avec des parties du mouvement de la société civile des années 1980. Depuis peu, l’option politique nationaliste, conservatrice et religieuse fait passer de manière agressive un programme historique et politique révisionniste. En Slovénie, cela passe par une réhabilitation des domobranci, les forces collaboratrices de la Seconde Guerre mondiale, principalement par le Parti démocrate slovène (SDS) et le Parti démocrate chrétien (NSi). En Croatie, cette réhabilitation vise le régime des oustachis et en Serbie, les tchetniks. Hormis le bloc libéral et conservateur, il existe, du moins officiellement, un bloc social- démocrate ; mais en y regardant de plus près, il s’avère qu’il ne mérite pas de figurer dans une autre catégorie.
Après la scission de la Yougoslavie, les nouveaux Partis socialistes, sociaux-démocrates et même communistes se présentant tous comme les véritables héritiers de la Ligue des communistes de Yougoslavie, ont fait face à différents scénarios. Dans certains cas, comme en Slovénie et en Croatie, ils sont devenus des social-démocraties occidentales typiques et dans d’autres, comme la Serbie de Milošević, ils ont même pris le pouvoir pour de nombreuses années. Même s’ils ont berné certains intellectuels occidentaux (même Noam Chomsky), Milošević et son parti socialiste étaient bien différents de la Ligue des socialistes de Yougoslavie, comme l’ont clairement attesté les événements des années 1990. Dans d’autres cas encore, l’inflation de ces partis et l’absence de réel pouvoir politique les ont marginalisés, ne leur permettant pas d’avoir un impact significatif sur la vie politique. Finalement, lorsque le camp social-démocrate a vraiment fonctionné, il a joué le rôle d’une social-démocratie occidentale typique (ce qu’il continue de faire). En d’autres termes, il s’agit au final d’un programme néolibéral.
Par ailleurs, même les deux camps politiques qui perdurent dans la région, à savoir les libéraux et les conservateurs, ne sont pas si différents, du moins en matière de politiques économiques. On pourrait dire que les derniers prônent un libéralisme pur et « honnête », tandis que les premiers essayent de le présenter comme un « libéralisme à visage humain ». Accessoirement, du point de vue du capital, les résultats sont même généralement, meilleurs dans le dernier cas. Ce qui, au final, différencie réellement ces camps, ce sont des sujets tels que le droit à l’avortement, la séparation de l’Église et de l’État, les droits des LGBTQ, etc. Cela montre que malgré le système multipartite dont chacune des anciennes républiques yougoslaves se revendique, dans tous les cas, le système en place est, de fait, composé de deux groupes de partis : un groupe libéral (incluant les sociaux-démocrates) d’un côté et un groupe conservateur (incluant les nationalistes et les régionalistes) de l’autre. En d’autres termes, l’évolution de la scène politique se résume à deux factions du capital qui essayent en permanence de prendre le pouvoir, dont les intérêts fondamentaux et les politiques économiques sont plus ou moins identiques et qui (notamment le camp libéral) sont prêtes à concéder leurs maigres différences culturelles si elles font obstacle à leurs intérêts économiques – ce qui est presque toujours le cas.
Ainsi, pour les forces de gauche progressistes de la région, leur tentative de constitution a nécessité plusieurs tâches. D’une part, les forces libérales et conservatrices évoquées précédemment dominaient l’espace politique. Elles avaient le rôle d’opposant dans différents combats de la société civile ou des étudiants de la région, comme l’occupation de la Faculté des arts de Belgrade, Zagreb et plus tard Ljubljana, tout cela en quelques années seulement. À cela s’ajoutent les campagnes en faveur des droits de la communauté LGBTQ, qui ne jouit toujours pas de droits universels et égaux dans aucun pays de la région. La critique du processus d’accession à l’OTAN a suscité une énorme mobilisation, notamment en Slovénie, et a vraiment unifié une large couche de la société civile, à l’instar des manifestations contre la guerre en Irak et en Afghanistan. Récemment, des manifestations anti-austérité contre les politiques de la Commission européenne ont également eu lieu dans la région, même si bon nombre de ces mesures avaient déjà été mises en œuvre à grande échelle lors de la transition vers le capitalisme de marché. Globalement, l’Europe de l’Est avait déjà vécu une grande partie des répercussions de la crise financière dix ans plus tôt.
Ces actions et expériences ont été formatrices pour toute une génération, qui a pu se sensibiliser à la politique par ce biais, puis aborder d’un œil critique la question persistante : « Que faire ? ». Dans presque tous les cas, la réponse s’est orientée vers une articulation politique plus intense du projet dans son ensemble, à savoir aller au-delà des contraintes étroites des luttes universitaires pour en faire un combat vraiment universel. Ceci a, bien sûr, posé la question de savoir quelle forme d’organisation on devait utiliser pour mieux entrer dans ces combats politiques plus vastes.
Dans le cas de la Slovénie, cela a conduit à l’établissement de la coalition de la Gauche unifiée, qui compte désormais 6 députés sur 90 à l’Assemblée nationale slovène. D’autres partis ont été fondés, comme le Fronta Radnička (Front ouvrier) en Croatie ou Leica (La Gauche) en Macédoine. En Croatie, de nombreuses initiatives médiatiques progressistes ont été lancées avec succès, en particulier le portail Web régional Bilten qui traite des actualités relatives à l’ensemble des Balkans avec le regard critique de la gauche. Il faut enfin citer une autre organisation très importante, aussi de Croatie, la BRID (Plateforme d’initiative et de démocratie ouvrières), qui est spécialisée dans la coopération avec les syndicats et s’est forgée une excellente expérience concrète des luttes ouvrières au quotidien.
Pour raviver les efforts des forces progressistes dans la région, une autre avancée a été faite avec l’établissement de la « Ligue de la gauche balkanique », dont le but est de connecter les différents mouvements progressistes, initiatives de la société civile et partis politiques des Balkans. Son objectif à court terme est de mettre en place une plateforme de communication qui servira de support pour échanger des informations. La Ligue de la gauche balkanique n’en est donc qu’à ses prémices et a, d’une certaine façon, une histoire très courte. Cette idée a été avancée pour la première fois à l’université d’été régionale de la Fondation Rosa Luxemburg à Baška, Krk (Croatie) en octobre 2015 – plus précisément lors d’un atelier dédié à la question de la coopération régionale. L’idée de l’instauration d’une sorte de système délégué pour une communication en continu avait alors reçu un soutien général. Une réunion de suivi en plus petit comité (délégués) s’est tenue en février 2016 à Brežice, en Slovénie. Cette réunion, consacrée à la concrétisation des idées générales adoptées à Baška, a également permis de développer l’esprit d’équipe pour la première composition des délégués participants.
Actuellement, quelque 16 organisations différentes participent au processus de développement du Réseau des Balkans. Chacune est représentée par au moins un délégué – ceux-ci représentant un large éventail d’organisations. Certaines de ces organisations sont étudiantes, comme Iskra (Slovénie) et Mugra (Macédoine), d’autres sont principalement axées sur un travail médiatique, comme Bilten (Croatie). Y figure également un représentant de Brid (Croatie), qui travaille essentiellement avec les syndicats et les ouvriers sur le terrain. D’autre part, le Sommet de gauche serbe est une large coalition de différentes organisations, tandis qu’Initiative pour un socialisme démocratique (Slovénie) est un parti politique, membre de la coalition Združena levica et représenté au parlement slovène. Aux participants déjà cités il faut également ajouter des représentants de projets plus théoriques et d’autres venant de Bulgarie, de Roumanie, du Kosovo, d’Albanie et de Bosnie-Herzégovine. Cela dit, les organisations, leur point focal et leur état de développement, reflètent la situation plus générale du développement des forces de gauche dans la région. Elles fournissent donc une base réaliste pour une plus grande coopération régionale et un meilleur échange d’idées et d’expériences.
Lorsqu’une communication continue et fiable sera établie, l’objectif à moyen terme sera ensuite de commencer à travailler sur des projets communs. La coordination des activités régionales, comme la lutte contre la privatisation, l’échange d’expériences du travail de terrain, l’élaboration de politiques, la coordination des campagnes, etc., n’est qu’une partie des nombreuses activités que le Réseau des Balkans pourrait contribuer à promouvoir dans six à douze mois. Nonobstant sa courte histoire, la Ligue de la gauche balkanique a en réalité un assez long passé et tire ses aspirations des nombreuses conférences (plus académiques ou politiques) qui ont eu lieu dans la région ces trois à quatre dernières années, parmi lesquelles : le Festival du film subversif (Zagreb, Croatie), la May Day School (Ljubljana, Slovénie) et les conférences du CPE (Belgrade, Serbie). Nous voyons bien que la Ligue de la gauche balkanique prend des mesures qualitatives pour poursuivre ces efforts et leur donner de l’ampleur.