• Entretien
  • Peović : « La gauche siège désormais au Parlement croate, où elle défend celles et ceux qui travaillent. »

  • Par Angelina Giannopoulou | 21 Jul 20 | Posted under: Europe centrale et orientale , Croatie , Élections , La gauche
  • Možemo! – politička platforma, une vaste coalition gauche-verts, a obtenu 7 % lors des dernières élections législatives en Croatie. Entretien avec Dr Katarina Peović, membre de Radnička fronta (RF, Front des travailleurs) qui a été récemment élue députée de Možemo!.

    transform! europe : Les élections du 5 juillet ont été un moment historique pour la gauche croate car elles lui ont permis d'être représentée pour la première fois au Parlement. En quoi la représentation parlementaire est-elle importante pour Možemo! –Politička platformaune formation politique qui a été bâtie essentiellement par des organisateur·trice·s et militant·e·s des mouvements sociaux ?

    Katarina Peović : Le Premier ministre croate a affirmé un jour, pour nous insulter, que les membres de la coalition gauche-verts étaient des « militants politiques ». Il insinuait que le terme avait une connotation négative. Et pourtant, nous sommes des militant·e·s politiques. En tant que membre du Radnička fronta — l'un des six partis composant la coalition gauche-verts —, je peux vous dire que nous n'avons jamais eu pour objectif politique central d'être représenté·e·s au Parlement. Le Radnička fronta est constamment dans la rue, à la fois dans les manifestations et dans le soutien aux grèves. Militer politiquement, cela signifie refuser l’opportunisme politique qu'on observe fréquemment dans les cercles dits de la « haute politique ».

    Mais maintenant que nous sommes au Parlement, nous voici positionné·e·s plus solidement pour défendre la majorité travailleuse — celles et ceux qui vivent de leur travail —, chômeur·euse·s et retraité·e·s inclus.

    Les résultats des élections ont largement conforté l'Union démocratique croate (HDZ, conservateurs) et son chef, Andrej Plenković. Quant aux sociaux-démocrates (SDP), qui se présentaient sous l'étiquette de la coalition RESTART (RESTART koalicija), ils ont subi une défaite avec la perte de quatre sièges. Outre Možemo!, enfin, six autres partis ont fait leur entrée au Parlement croate. Comment décririez-vous l'actuel équilibre des pouvoirs et sa transposition parlementaire ?

    Les résultats brouillent le fait que les conservateurs du HDZ n'ont en réalité pas obtenu autant de voix qu'il y paraît (c'est même historiquement leur deuxième pire résultat électoral lors de législatives). Le nombre élevé de sièges que le HDZ a pu récolter s'explique par le faible taux de participation (46,9 %). Le résultat du SDP, lui, entérine l'échec de menées politiques néolibérales compromettantes. Quant à la faiblesse du taux de participation, elle montre que beaucoup de gens n'ont plus du tout confiance dans la politique. Ce désenchantement peut conduire soit au retrait de la vie politique (les électeurs refusent de participer au processus politique), soit à l'émergence de nouvelles forces politiques si celles-ci sont assez fortes pour motiver les gens à participer et à changer le cours des choses collectivement.

    Quels sont les problèmes sociaux, économiques et politiques actuels que Možemo! identifie comme les plus cruciaux pour la Croatie, et de quelle manière Možemo! organise-t-il sa lutte en fonction de ces enjeux ?

    Nous insistons sur les mauvaises conditions matérielles qui sont le quotidien d'une majorité de gens. La Croatie fait partie des pays de l'UE affichant les salaires horaires les plus bas. Par-delà une baisse générale des salaires constatée dans tous les pays d'Europe orientale ces dernières années, les salaires croates sont ceux qui ont diminué de la façon plus spectaculaire — passant de 43 % à 37 % du salaire moyen d'Europe occidentale.

    Le Radnička fronta alerte également sur le fait que la Croatie arrive en tête de la liste des pays de l'UE où l'emploi est précaire — 6,5 % des employé·e·s croates en 2018 (6,9 % en 2017), contre une moyenne européenne de 2,1 %. Parmi les travailleur·euse·s nouvellement employé·e·s en 2019, 90 % n'ont signé leur contrat que pour une période limitée. 

    En outre, de nombreuses retraites sont très faibles, et 14 % de la population active, particulièrement les plus jeunes, ont émigré (soit plus de 300 000 personnes), alors que la moyenne européenne est de 4 %. 

    Sur quels axes politiques principaux avez-vous bâti votre campagne électorale et votre programme, et comment expliquez-vous le résultat des urnes, qui est supérieur à vos attentes ?

    Nous avons mis l'accent sur la solidarité et sur la nécessité d'empêcher les élites dirigeantes de transférer à nouveau le poids de la crise vers la majorité non privilégiée. Notre programme s'est concentré sur l'importance d'une réindustrialisation écologique — sur des formes de production apportant beaucoup de valeur ajoutée et, en même temps, capables de subvenir aux besoins essentiels —, il était axé aussi sur les soins de santé pour tou·te·s, l'éducation pour tou·te·s, l'alimentation, les fournitures médicales, et le logement pour tou·te·s (pendant la crise du coronavirus, la ville la plus importante du pays, Zagreb, a été frappée par un tremblement de terre).

    Pendant la crise du coronavirus, nous avons constaté à quel point peut être dévastateur le manque de fournitures médicales et de production alimentaire nationales. À Zagreb, de nombreuses personnes ont perdu leur toit.

    La majorité de la gauche européenne a été très impressionnée, et ravie, de votre succès. Entretenez-vous des relations avec des camarades, des partis ou des organisations à travers l'Europe, et quelle est l'importance de l'internationalisme dans Možemo ?

    Le Radnička fronta insiste fortement sur l’importance de l’internationalisme. Nous coopérons étroitement avec le parti de gauche slovène Levica, une coopération très antérieure à la campagne électorale. Au cours de la campagne, le coordinateur de Levica Luka Mesec et moi-même avons échangé autour d'une table ronde sur la situation de la gauche dans les Balkans. Nous coopérons également avec l'Union social-démocrate serbe (SDU). La Rifondazione Comunista italienne nous a soutenu·e·s lors de l'élection présidentielle et des législatives. Le Parti de la gauche européenne a également exprimé son soutien.

    La crise de l'intégration européenne semble loin d'être résolue. Pendant des années, la gauche européenne s'est bloquée dans une position ambivalente face à la question de l'intégration européenne. Quelle est la vision de Možemo! concernant l'avenir de l'Europe et des citoyen·ne·s européen·ne·s ?

    L'Union européenne pourrait toucher à sa fin si la crise du coronavirus aggravait encore les inégalités entre les pays riches du centre européen et la périphérie pauvre. Les bureaucrates bruxellois·e·s ont manifesté leur acceptation des inégalités avec le concept d ’« Europe à deux vitesses ». Le débat sur les eurobonds a ouvert à son tour une boîte de Pandore en donnant lieu à des conflits entre pays « du Nord » et « du Sud » comme nous en avons connu lors des crises précédentes.

    La gauche d'Europe a le devoir d'alerter sur le nationalisme et le renforcement des mouvements de droite, et sur les liens existant entre ces mouvements et les inégalités de développement, lesquelles divisent artificiellement les gens.

    Merci pour cet entretien !


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