Le retour de la politique en Grèce et en Europe

L’accord de l’Eurogroupe ne met pas fin à la négociation. Il ne reporte même pas l’affrontement. Au contraire, il ouvre une nouvelle et longue période pleine de dures confrontations, à l’intérieur et en dehors de notre pays ; des heurts comme ils n’ont jamais eu lieu, puisque les gouvernements pro-austérité se sont non seulement accordés avec la troïka et les dirigeants de l’UE, mais, dans de nombreux cas, ils les ont dépassés dans la sévérité des mesures d’austérité qu’ils ont élaborées et appliquées.

Le but essentiel de l’élite néolibérale ­européenne et de ses représentants ­politiques était, et est toujours, de piéger Syriza dans une construction qui ne constitue pas une réelle alternative contre ­l’hégémonie néolibérale. Ils ont essayé et ils continueront à essayer d’enfermer le gouvernement grec et Syriza dans une position forcément défensive, dans laquelle nous serions contraints de tenter uniquement de limiter les dégâts, sans avoir les capacités d’entreprendre nos propres initiatives alternatives. L’intégralité du cadre de la négociation a été élaborée par nos opposants afin de conduire le gouvernement à s’effondrer ou à se ridiculiser. Cependant, la position du gouvernement grec a ruiné leurs plans et déconstruit le chantage truqué répandu par des cercles grecs et étrangers selon lequel, au cas où la partie grecque exprimait son désaccord, notre pays serait contraint à l’écroulement et à une sortie forcée de la zone euro.

Le fait que nous soyons parvenus à ­surmonter ces dangers et à gagner un temps décisif est très important. De plus, il est également très important que nous ayons pu faire en sorte d’annuler toutes les mesures d’austérité douloureuses que le gouvernement précédent s’était engagé préélectoralement à mettre en œuvre. Le gouvernement grec a signé un accord qui reflète clairement le fait que, à compter de maintenant, chaque pas ultérieur sera un élément de l’affrontement. Cet accord est loin de ce que tout un chacun de nous pourrait considérer comme idéal. Il comprend des obstacles et des restrictions qui nous contraignent à reporter ou à reformuler une partie de notre programme gouvernemental populaire.

Cependant le retour de la politique au premier plan du processus européen, les premières ruptures politiques provoquées au niveau européen après la victoire ­électorale de Syriza et la position globale du gouvernement grec de salut social constituent des signes encourageants pour la période à venir. Cette position particulière a changé le cadre de discussion partout en Europe, donnant naissance parallèlement à un grand mouvement de solidarité sans précédent. Le renforcement de la solidarité des peuples d’Europe est une obligation de la plus haute centralité dans la perspective du renforcement des luttes sociales paneuropéennes et du changement du rapport des forces en Europe.

La transparence avec laquelle le nouveau gouvernement a agi dans le processus de négociation représente une autre différence qualitative avec les gouvernements précédents de Nouvelle Démocratie et du Pasok. Nous n’avons rien à craindre tant que nous continuons à nous adresser avec sincérité au peuple grec, tant en ce qui concerne les possibilités actuelles et les problèmes présents. La caractéristique fondamentale qui déterminera le sort des prochaines étapes de la confrontation avec nos opposants est la capacité du gouvernement à maintenir ouverte la rupture créée contre la domination totale du néolibéralisme. Selon que nous remportons des victoires plus ou moins grandes dans la période à venir, les développements politiques seront accélérés, puisque le dogme de « Tina » (« Il n’y a pas d’alternative », selon l’affirmation en son temps de Margaret Thatcher – NDLR) se sera écroulé. En s’engageant dans sa responsabilité historique, le gouvernement grec doit immédiatement travailler très dur, afin d’éviter toute éventualité de nouvelles mesures d’austérité et, dans le même temps, pour améliorer les finances publiques en faisant payer les riches. Un premier signe positif dans cette direction est que les ­procureurs économiques ­enquêtant sur la liste des déposants grecs qui ont transféré illégalement de l’argent dans des banques en Suisse ou ailleurs à l’étranger ont d’ores et déjà bloqué 404 millions d’euros découverts dans des comptes de 17 dépositaires. De même, nous serons jugés sur nos initiatives en vue de la démocratisation du système politique et de la sphère publique ainsi que dans la guerre contre la corruption et dans l’action résolue contre la crise humanitaire.

Le gouvernement a déjà présenté cette semaine son premier projet de loi comprenant la fourniture gratuite d’électricité (300 kWh par mois) aux foyers qui vivent dans des conditions de pauvreté extrême, une allocation logement (70 euros mensuels par personne ou 220 euros par famille) pour 30 000 foyers et une aide alimentaire pour des citoyens vivant aussi dans l’extrême pauvreté. Au cours de ces quatre mois, il nous faudrait accomplir des pas décisifs qui amélioreront notre position dans les affrontements de demain ; et ces pas pourront être effectués aussi longtemps que la société est déterminée à soutenir un ­gouvernement de salut social, plutôt que d’attendre. L’existence d’une disponibilité populaire sans précédent, comme elle s’est exprimée dans les premiers sondages ­postélectoraux, mais principalement dans les mobilisations sans précédent en faveur des exigences du gouvernement, constitue un élément crucial pour notre parti. Aujourd’hui, alors que le dogme du « tous les mêmes » s’écroule et que la ­politique redevient un moyen de changer nos vies, notre parti devrait maximaliser son unité interne, sans que cela signifie la suppression de la diversité, mais dans son inclusion dans notre réflexion et nos ­objectifs communs. La critique et la confrontation de points de vue dans les processus des instances de décision d’un parti de gauche multitendance sont de bonnes pratiques aussi longtemps qu’elles ne mettent pas en danger notre solidarité interne et qu’elles ne déforment pas nos décisions officielles.

Syriza doit maintenant ouvrir les portes pour rassembler tous ceux qui souhaitent combattre collectivement et sans égoïsme en vue de reconquérir leur dignité. Notre vision, nos manières de faire et nos actions devraient refléter notre détermination à créer l’« intellectuel collectif » qui édifiera une nouvelle conscience collective de la société grecque. Un nouveau concept de sens commun fondé sur le collectif, la solidarité et la satisfaction des besoins sociaux. Comme l’a récemment dit le président de Syriza, notre mot d’ordre commun en ce nouveau commencement doit être : moins de mots et plus de travail.

 *Yiannis Bournous, membre du secrétariat politique de Syriza et du comité de direction du Parti de la gauche européenne (PGE).