Gauche et Migrations : comment penser les luttes communes entre migrants, non-migrants et minorités ?

A l’origine de ce séminaire, le constat d’une rencontre imparfaite et inachevée entre la Gauche et les personnes présentées comme étrangères au corps national. Alors que leur situation souvent précaire les rapproche objectivement des combats menés par la Gauche en faveur de l’émancipation et du progrès social, le rapport de cette dernière aux migrants, descendants de migrants et minorités (en particulier Rom) a souvent fait l’objet d’un certain malaise. Tout en revendiquant généralement un soutien à ces groupes, les organisations progressistes oscillent souvent entre stratégies d’évitement et paternalisme infantilisant, quand certaines ne cèdent pas aux sirènes de la démagogie xénophobe. 

La complexité du sujet, mais surtout la volonté de faire avancer concrètement la réflexion sur cette thématique ont déterminé le choix d’un séminaire interactif sous forme d’une table-ronde. La présence d’académiciens, d’organisations de migrants et de représentants de la Gauche syndicale, politique et associative se fondait quant à elle sur l’intérêt qu’il y avait à faire dialoguer des sphères trop souvent déconnectées les unes des autres. Enfin, la dimension européenne correspondait à l’exigence, pour quiconque entend élaborer une stratégie de résistance et de convergence des luttes, de tenir compte des succès et des échecs rencontrés dans les autres pays européens, à l’heure où le destin des peuples se trouve de plus en plus lié par le processus d’intégration continental.

Ces partis pris ambitieux se révélèrent pertinents, à la lumière de la richesse et du caractère constructif des échanges intervenus durant ces deux jours. Au grand plaisir des organisateurs, les participants venus d’une dizaine de pays européens ont ainsi partagé avec intérêt les expériences de luttes communes dans des domaines très variés. Les discussions furent ponctuées de présentations plus théoriques et de témoignages, qui permirent à la rencontre de conserver une forme dynamique et vivante. 

Il fut notamment question des nouvelles opportunités de solidarité nées avec la crise, révélatrice de la communauté de destin qui unit migrants et non-migrants face à la détresse sociale. Mauricio Valente exposa ainsi le cas des collectifs espagnols contre les expulsions, où nationaux et migrants ont œuvré ensemble pour lutter contre les saisies hypothécaires. Elena Kalimeri souligna quant à elle que le réseau grec « Solidarité pour tous », qui coordonne de nombreuses initiatives nées au niveau local pour pallier aux déficiences de l’Etat, considère les migrants comme partie intégrante de la communauté victime de la crise. Autant d’initiatives à contre-courant de la conception dominante qui perçoit le repli national comme la seule réponse en période de crise, et qui attire l’attention sur les potentialités de l’auto-organisation et de la pratique de terrain pour une convergence des luttes.

Autre thème récurrent : l’importance, pour la Gauche, de défendre les migrants sur une base universaliste de lutte des classes. Plutôt que de fonder la solidarité sur des critères humanistes, c’est en effet en insistant sur le fait que les travailleurs migrants et non-migrants partagent une même condition d’exploitation que des convergences sont susceptibles de naître, pas tant sur des fondements moraux mais en fonction des intérêts bien compris des uns et des autres. Ce constat place les syndicats progressistes en première ligne, puisque confrontés quotidiennement à la contradiction capital-travail, et donc à la nécessité d’inclure les migrants dans la lutte sociale.

Le caractère constructif des débats n’a pas empêché des échanges parfois houleux, et des divergences de vue de persister. Alors que les discussions portaient sur la façon d’inclure les migrants, le relatif consensus autour de la nécessité pour la Gauche de favoriser la prise de conscience de classe chez les migrants et minorités a suscité la réaction d’Heidi Barz, de l’association rom Inirromnja. « Les Roms et migrants disposent parfois d’une solide conscience de se situer en bas de l’échelle sociale. Il ne s’agit donc pas pour la Gauche d’enseigner la bonne conscience de classe, mais de réfléchir aux convergences possibles sur base de l’auto-identification de chacun ». Une intervention qui eut le mérite de souligner la persistance d’un<s>e</s> certaine paternalisme émis certes de bonne foi, mais qui risque d’hypothéquer durablement la possibilité pour la Gauche de tenir un discours audible et mobilisateur auprès des migrants et minorités.

Si ces deux journées d’échanges n’ont pas débouchés sur la formulation de propositions aussi concrètes qu’espérées, la qualité des débats, l’intérêt porté par les intervenant et le maintien de pommes de discorde semblent accréditer la pertinence d’avoir organisé cette réflexion commune. Les organisateurs ont dès lors été conforté dans leur volonté de poursuivre leur réflexion sur le sujet, dans un contexte où la brutalité des offensives antisociales partout en Europe rend la nécessité de luttes communes plus impérieuse que jamais.

Note : Les actes du séminaire ainsi qu’une synthèse plus détaillée des principaux enseignements de cette rencontre seront prochainement disponible sur le site web de l’Association culturelle Joseph Jacquemotte (www.acjj.be).