La crise contre la démocratie et la liberté d’expression

Déjà cet été, le Saint Synode de l’Église orthodoxe grecque avait jugé «un tel spectacle en contradiction avec la longue tradition de l’Église et de la patrie », tout en invitant le peuple grec à le condamner. Heureusement, il n’y a pas d’affaire comme celle des Pussy Riots en Grèce et personne dans l’ère post-dictature n’a jamais été emprisonné pour des actions anti-gouvernementales, du moins officiellement et sans aucune autre charge. Cependant, même selon les normes d’un pays européen comme la Grèce, ce fait n’est pas sans précédent. Que ce soit pour des questions politiques, comme la construction d’une mosquée à Athènes, ou la mention des croyances religieuses sur les cartes d’identité (ce qui fut le cas en Grèce jusqu’en 2000), ou pour des raisons culturelles – un film, une œuvre d’art ou un événement artistique -, des fanatiques, membres d’organisations fondamentalistes, religieuses délaissent leurs pratiques religieuses et lieux de culte pour une "chasse aux sorcières" impitoyable.

Finalement, c’est quoi Corpus Christi et pourquoi de telles réactions? Selon le directeur, Laertes Vassiliou, la pièce est la reconstruction de l’histoire la plus célèbre et controversée de l’Homme, sans identification ou référence à des personnalités de la Bible. Elle raconte l’histoire de treize jeunes gens, de l’adolescence à l’âge adulte, dans une société vacillant entre des valeurs et des idéaux perdus, à un moment où nous nous efforçons plus que jamais à filtrer ce qui nous est « servi » comme la vérité et l’histoire officiels. Par conséquent, dans une ère de « crise économique », la représentation donne une occasion de juger et de comparer les valeurs que nous souhaitons servir.

Cependant, la guerre contre Corpus Christi n’est pas seulement une action conservatrice, l’expression de la partie du peuple grec qui refuse la diversité et la liberté de critiquer le « divin » et les structures et institutions de l’Église. Le flambeau de l’obscurantisme et du rôle de défenseur du «lien indissoluble» entre le christianisme et l’État grec est désormais porté par le parti néo-nazi Aube dorée. Délaissant les croyances païennes du passé et essayant d’exploiter la tendance de l’Église à se politiser en temps de crise politique, Aube dorée s’est ouverte à la droite orthodoxe traditionnelle et a cessé de ne pas s’engager. Il s’empare des questions qui favorisent son intervention dans la sphère politique, surtout dans la partie conservatrice de notre société, qui, après l’affaiblissement ou même la décomposition des autres partis de la droite, tels que la Nouvelle Démocratie et le LAOS, est laissée sans relais politiques efficaces.

Cette nouvelle orientation politique est illustrée par le cas de Frère Pasticcio, un blog satirique critiquant les juteuses affaires autour de la canonisation du moine, Frère Paisios, en particulier la vente de livres qui décrivent les faux miracles que le moine était censé avoir accompli. Suite à l’intervention de députés de l’Aube dorée au Parlement grec, le créateur du blog a été déferré devant les tribunaux, accusé de « blasphème ». Ce que la Ligue hellénique des droits de l’homme a dénoncé, soulignant que le délit de blasphème était un « anachronisme juridique flagrant » dans le Code pénal.  C’est un fait qu’à travers cette infraction, la loi se substitue au pouvoir religieux pour punir un péché, et dans le même temps favorise de façon déraisonnable le sentiment religieux de la majorité, contre la liberté d’expression et de caricaturer, renforçant l’obscurantisme et l’intolérance religieuse.

Néanmoins, l’action d’Aube dorée ou les phénomènes de frénésie religieuse ne sont pas une tache noire dans un paysage démocratique immaculé. Dans tout cela, on peut noter que ces actions ne sont pas des incidents isolés, mais font partie d’un effort concerté visant à restreindre la liberté d’expression. Les deux réactions contre Corpus Christi et Frère Pasticcio vont de pair avec l’autoritarisme, la répression violente de toute forme de protestation, les arrestations de manifestants et les pogroms contre les immigrés, nommés de façon ironique Xenios Zeus d’après l’ancien dieu grec de l’hospitalité. Les idées libérales sont remplacées par un endoctrinement coordonné à la haine, à la xénophobie et à la violence, par le gouvernement grec ou par l’Église, par la propagande médiatique, ou à travers les crimes visibles et cachés de l’Aube dorée. La crise économique, l’autoritarisme et l’imposition violente des mesures économiques du Mémorandum s’accompagnent de la répression, non seulement contre les manifestants, mais contre la démocratie. Accepter le Mémorandum, c’est accepter le déni de démocratie, à travers la répression, le style néo-nazi, les mesures anti-démocratiques, l’imposition autoritaire de tout ce que la société rejette. Le concept de Frère Pasticcio et les réactions anachroniques devant Corpus Christi font partie du même contexte : le refus de la diversité sociale, politique, ethnique, religieuse et sexuelle.

Le gouvernement, Aube dorée et l’Église se retrouvent sous la bannière de l’unité nationale et du salut de la patrie. Mais de quel genre de salut parlons-nous ? Et, plus important, comment des mesures qui aggravent les antagonismes de classe et paralysent la démocratie et les droits sociaux peuvent-elles fonctionner ? Corpus Christi et Frère Pasticcio mettent en évidence le dilemme principal au sein de la société grecque : la culture, la solidarité, les droits de l’homme, la démocratie ou le Mémorandum et la brutalité ?