SYRIZA : Projet de programme de gouvernement

1. Introduction
Le 25 janvier a marqué un point de rupture sans précédent au devenir politique tant de la Grèce que de l’Europe. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale en Europe, un parti de la gauche radicale a réussi à accéder au gouvernement et cela dans des conditions d’une crise économique, politique et sociale généralisée.
Le quinquennat mémorandaire[1] en Grèce a désagrégé les liens traditionnels de représentation politique et sociale pour dissoudre l’alliance sociale qui avait soutenu, activement ou passivement, le processus néolibéral de restructuration de l’économie grecque et des rapports sociaux et politiques qui s’y rattachent pendant les derniers 25 ans. Cela s’est passé une fois que le processus de restructuration doux et graduel a été remplacé par un programme brutal d’un ajustement budgétaire ultrarapide et d’une dévaluation interne, qui ne laissait guère d’espace à des compensations matérielles (p.ex., emprunts bon marché, exonérations fiscales, évasion fiscale organisée par l’État, augmentation des salaires limitée, etc.) en faveur des classes sociales qui, pendant les années précédentes, jouaient le rôle de support de la coalition de pouvoir néolibérale.
Or, la désagrégation des alliances sociales et politiques préexistantes a été accompagnée d’une disponibilité populaire accrue à des mobilisations, non seulement traditionnelles (grèves, manifestations), mais aussi originales (Syntagma[2], initiatives de solidarité sociale). Dans ces conditions de montée de la lutte populaire, SYRIZA a compris que le moment était arrivé pour que la Gauche prenne l’initiative de représenter une nouvelle alliance sociale, qui semblait avoir le potentiel d’accéder au gouvernement du pays. C’est ce qui s’est passé.
C’était le Programme de Salonique[3] qui, en tant que programme politique, a accéléré et confirmé les réalignements sociaux en cours et qui s’appuyait sur quatre piliers : faire face à la crise humanitaire, redémarrer l’économie, rétablir les relations de travail et restructurer l’État d’une façon démocratique.
Il s’agissait d’un programme qui visait à une redistribution des revenus et du pouvoir en faveur des classes qui avaient été touchées de plein fouet par les politiques mémorandaires. Or, il était en même temps donné que la mise en œuvre d’un tel programme exigerait une négociation dure avec les créanciers de façon à neutraliser le principal levier d’imposition des programmes d’ajustement budgétaire : la dette et l’impossibilité de recourir aux marchés afin de financer l’économie grecque.

2. La négociation
C’était l’arme de l’asphyxie de financement qui a été utilisée de façon très efficace par les créanciers et les institutions pendant toute la durée des négociations dures menées par le nouveau gouvernement. Dès le premier moment où SYRIZA a accédé au gouvernement,  l’asphyxie de financement exercée par la BCE et la menace permanente d’écroulement du système financier du pays ont été utilisées de façon à susciter des pressions économiques et sociales sur le nouveau gouvernement. Le but était soit son bouleversement, soit sa capitulation inconditionnelle et l’adoption de sa part du programme précédent d’ajustement budgétaire et de dévaluation interne.
Malgré nos forces limitées, nous nous sommes efforcés de nous défendre face aux pressions concrètes par tous les moyens possibles et de donner un « échantillon d’écriture » d’une nouvelle éthique politique et d’une nouvelle perspective sociale tant à l’intérieur qu’à l’étranger.
En ce qui concerne plus concrètement la négociation, malgré les défaillances et des erreurs tactiques possibles, nous avons fait tout notre possible pour parer à l’asphyxie financière (en retardant des remboursements à l’ FMI,  en refusant de proroger le contrat de prêt précédent, en appliquant des contrôles nécessaires de capitaux de façon à protéger le système bancaire du chantage financier de la BCE), ainsi que tout ce qui était nécessaire pour transmettre à l’Europe le message que le programme de dévaluation interne avait échoué et qu’il n’avait pas l’appui populaire.
Cette lutte politique a culminé au référendum du 5 juillet, un moment de sursaut populaire et de disponibilité au combat, qui restera indélébile dans la mémoire des peuples européens et qui portera ses effets politiques à un avenir proche.Or, cela suppose que le référendum ne porte pas l’effet inverse, c’est à dire qu’il ne mène pas à une déception des couches populaires au motif que ses suitesn’ont pas confirmé l’enthousiasme initial. Et le combat que nous devons mener quant à l’interprétation des événements qui se sont déroulés pendant et après le référendum n’est pas de moindre importance, puisqu’il y a aujourd’hui des forces politiques qui déforment ses motifs et son résultat, principalement afin de l’accaparer et de l’emprunter comme véhicule d’opposition qui servirait à leur surviepolitique.
Il devient donc nécessaire de rappeler que le but déclaré du référendum était de conforter la position du gouvernement dans le cadre d’une négociation inégale et asymétrique. Nous n’avons jamais affirmé autre chose que ça, nous n’avons jamais dit que nous demandions un mandat afin de faire exploser la zone euro en nous tuant nous-mêmes en premier. Au contraire, nous avons demandé le rejet d’un programme de coupes horizontales et d’imposition lourde, qui était accompagné d’une étude –politiquement télécommandée– visant à prouver que la dette grecque était soutenable, qui imposait des excédents primaires [4] élevés, ainsi que d’un financement insuffisant dans le cadre du programme précédent (du contrat de prêt de 2012), qui serait prorogé pour cinq mois seulement, en maintenant ainsi l’incertitude économique et en repoussant tout simplement le risque d’un Grexit au proche avenir.
Et c’est bien le mandat que nous avons reçu du peuple grec : de rejeter la proposition des institutions qui était sur la table, en obtenant le plus possible sans risquer un désastre social généralisé, étant donné les rapports de force en Europe qui nous étaient particulièrement défavorables.

3. Le dilemme-chantage
À l’issue du référendum[5], nous nous sommes retrouvés devant un paysage politique européen absolument hostile et nous nous sommes heurtés contre une attitude punitive de la part tant des créanciers que des institutions.
Alors que les banques étaient soumises à un régime de ‘capital control’,  que la BCE avait gelé la ELA[6], que les obligations grecques garantissant les prêts accordés par le BCE aux banques grecques et la Banque de Grèce étaient menacées de ‘haircut’, alors que le FMI faisait pression pour le remboursement de la tranche arrivée à échéance depuis le 30 juin sous menace de déclarer la Grèce en faillite, alors que l’accès aux marchés nous était, bien entendu, impossible et que la quasi-totalité des gouvernements européens menaçaient le gouvernement grec, nous avons dû faire face au dilemme suivant :

          soit de signer un accord amélioré du point de vue de son cadre institutionnel et des prévisions de financement (86 Mrd € pour trois ans au lieu de 5 Mrd € pour cinq mois) et problématique –le moins que l’on puisse dire– quant aux mesures ;

          soit de mener le pays à une faillite désordonnée avec des conséquences imprévisibles pour l’avenir : effondrement probable des banques systémiques (ou de certaines parmi elles), ‘haircut’ des dépôts dans celles qui survivraient, sortie de l’Euro sans couverture de la nouvelle devise, par conséquent une dévaluation monétaire très rapide, voire en chute libre ; par conséquent, une crise sociale et politique gravissime, qui mènerait probablement à un effondrement du gouvernement et une crise humanitaire. D’ailleurs, le dilemme que nous avons confronté n’était pas entre un Mémorandum ou la drachme, mais entre un Mémorandum, que ce soit avec l’euro ou avec la drachme (proposition Schäuble), et une faillite désordonnée.

Nous avions donc le choix entre un recul tactique, nous permettant de garder l’espoir de mener à bout une lutte politique asymétrique, d’une part, et la mise sur le dos de la Gauche de la charge historique d’avoir transformé le pays en désert social, d’autre part. Nous avons donc assumé la charge de la responsabilité qui nous incombait et nous avons opéré le premier choix. C’est pourquoi nous nous soumettons au jugement du peuple grec.
 
4. L’accord avec les créanciers
Quel est le contenu de ce nouvel accord que nous avons signé avec les créanciers ? Est-ce, comme le soutiennent certains, le pire des trois Mémorandums ? Est-ce vrai qu’il accélère et entérine un programme de changements structurels, qui non seulement maintiendra la pauvreté et la crise humanitaire, mais qui organisera également les conditions de leur gestion à l’avenir ? Sans nous faire des illusions quant au contenu de l’accord, de telles affirmations constituent des exagérations politiques, certes compréhensibles à la lumière des circonstances actuelles. Mais en aucun cas elles ne reflètent l’intégralité de la réalité, ni –étant le plus souvent non prouvées– ne contribuent à une analyse concrète nécessaire de la situation concrète qui a été formée tant pour la Gauche que pour les forces sociales que celle-ci veut représenter.
L’accord concret donc qui a été signé, sous l’effet d’un coup d’État, après un chantage sans précédent dans le cadre des négociations avec les créanciers reflète le rapport des forces existant tel qu’il s’est concrétisé dans ces derniers temps dans le cadre de la zone euro. Il est, bien entendu, impossible d’échapper à ce rapport des forces, c’est-à-dire à la réalité. C’est ainsi que, dans chacun de ses volets, dans chaque chapitre et dans chacune de ses dispositions, l’accord reflète l’issue d’une négociation asymétrique, entre la volonté des créanciers de désintégrer le régime de protection sociale et de protection des rapports de travail, d’une part, et la volonté du gouvernement grec de résister à cette perspective, d’autre part.
En ce qui concerne le premier volet de l’Accord, à savoir le contrat de prêt, le gouvernement grec a réussi à faire échec à un plan de chantage financier continu que défendaient les milieux européens réactionnaires les plus extrêmes –principalement l’équipe Schäuble– et qui est resté actif jusqu’à l’Eurogroupe [7] du 14 août. Conformément à ce plan là,  la Grèce aurait dû soit se contenter d’une prorogation de 5 mois du contrat de prêt précédent, soit de procéder, après le 12 juillet, à une succession de financements-relai qui prolongeraient l’incertitude et qui augmenteraient sans cesse les occasions de chantage des créanciers pour imposer l’application d’encore plus de mesures récessives et antisociales.
En revanche, suite à une ferme résistance, mais aussi à cause de certains évolutions politiques qui ont mobilisé les quelques réflexes démocratiques qui restent encore à l’Europe existante, nous avons réussi, d’une part, à faire modifier le cadre institutionnel-juridique par un nouveau contrat de prêt et, d’autre part, d’assurer un financement avec un horizon de trois ans couvrant tant les besoins de financement extérieur que les engagements internes de l’État, principalement de dettes de l’État à l’égard de ses fournisseurs et ses sous-traitants.
Concrètement, le nouveau cadre institutionnel du contrat de prêt met un terme à la disgrâce des contrats précédents de type colonial avec l’EFSF [8] (sous forme de société anonyme), puisque la Grèce est désormais associée à l’ESM [9], un organisme international, avec lequel le pays maintient un lien régi par le droit international et le droit européen, tout en récupérant les immunités et les privilèges de la République Hellénique ainsi que de la Banque de Grèce à l’égard des créanciers internationaux. Il s’agit donc là d’un lien tout à fait nouveau, conforme à toutes les normes de protection internationale prévues pour des cas similaires.
Simultanément, et bien que le deuxième volet de l’Accord, à savoir l’annexe du contrat de prêt, constitue effectivement un programme dur qui s’inscrit dans la continuité de la politique d’austérité, il marque quelques gains –certes limités– en faveur de la majorité sociale, alors que, sur une série de points, le sens que prendra sa mise en œuvre dépendra de la négociation future du côté grec avec les créanciers ; il existe donc ici un large domaine pour le développement de la lutte politique et sociale pour la défense des salariés, des indépendants, ainsi que du patrimoine public (des mesures équivalentes au régime de pension, des rapports de travail, du système d’imposition, mais aussi de valorisation du patrimoine public).
Un élément positif de l’accord est d’ailleurs la réadaptation du montant des excédents primaires, qui a été obtenue lors des négociations suite aux fortes pressions du gouvernement grec. Sur la base de l’Accord, les objectifs budgétaires fixés sont : un déficit primaire de 0,25% pour 2015, et des excédents primaires de 0,5% pour 2016, 1,75% pour 2017 et 3,5% pour 2018. Il s’agit d’une réduction importante des engagements du pays, étant donné que le programme précédent prévoyait des excédents primaires de 3% pour 2015 et de 4,5% approximativement jusqu’à 2018. Et, puisque le montant des excédents primaires est en substance le reflet de l’évaluation chiffrée de l’austérité, nous avons assuré, comparativement, une adaptation nettement plus douce, qui diminue la possibilité de nouveaux chantages pour l’adoption de nouvelles mesures horizontales pour les prochaines années.
Enfin, l’Accord fixe pour la première fois un calendrier clair pour le démarrage des discussions sur la diminution et les conditions de remboursement de la dette publique. C’est justement dans ce domaine que nous serons appelés à mener un combat dur, dont une issue favorable transformera le cadre des rapports du pays avec les créanciers. Et cela parce qu’un accord positif sur la diminution de la dette grecque affaiblira la mécanique du pouvoir sur la base de laquelle ont été imposés les programmes d’austérité dure et de dévaluation interne du dernier quinquennat. Dans ce combat il importera de valoriser la nouvelle situation politique qui est en train de se former en Europe après la négociation, puisque pendant le dernier semestre de nouvelles lignes de démarcation ont surgi à l’intérieur des familles politiques européennes.
 
5. Y a-t-il d’alternative ?
Il est bien-sûr reproché à SYRIZA que le choix de signer le nouvel Accord justifie l’apostrophe thatchérienne qu’il n’y a pas d’alternative en dehors et contre les diktats du néolibéralisme (there is no alternative). Il n’y a jamais eu de déformation aussi consciente et extrême dans la brève histoire de SYRIZA. Cet adage thatchérien ne fait rien de plus et rien de moins que d’affirmer que le néolibéralisme, l’individualisme extrême et la poursuite du profit capitaliste constituent la seule solution, la seule voie vers le bien-être social. Conformément à tout ce qui se cache derrière cette apostrophe, toute autre voie mènerait à la restriction de la liberté, au totalitarisme et le malheur social.
SYRIZA et son gouvernement n’ont jamais adopté cette approche politique et idéologique. Parce qu’une chose est d’accepter le néolibéralisme comme horizon stratégique, comme l’unique voie vers le bien-être social, et une chose différente est d’admette que, à un certain moment historique, à la lumière des rapports des forces politiques donnés, on est obligé de faire un compromis tactique et temporaire, qui permettra de pouvoir continuer à se battre en gardant vive la possibilité de l’emporter.
Donc, il y a bien une alternative, il y a bien un autre chemin pour organiser les sociétés et l’économie. Ce chemin passe par la redistribution de la richesse et du pouvoir en faveur des classes subordonnées, des salariés des secteurs public et privé, des indépendants et des retraités, à travers le renforcement de formes d’économie sociale remettant en cause le modèle d’une hiérarchie (et donc de pouvoir) ouverte ou dissimulée à l’intérieur d’une entreprise et permettant de libérer la créativité d’une jeunesse surqualifiée mais au chômage, à travers la protection des biens communs qui, l’un après l’autre, entrent dans le collimateur du capital, à travers le soutien de l’État social et l’élargissement et l’approfondissement des droits sociaux et des libertés démocratiques.
Cette voie suppose également un lien permanent et organique avec les mouvements des classes subordonnées, un rapport étroit avec les élaborations des intellectuels de la Gauche, mais aussi un parti structuré, de masse, ouvert au monde du travail et à la jeunesse. C’est un tel parti que nous devrons aider à construire, si nous voulons avoir des chances de réussite dans la longue lutte politique et de classe qui se trouve devant nous.
Parce que le chemin vers l’émancipation sociale, notamment dans des conditions de crise, ne sera pas facile, et encore plus ne sera pas court. Il comporte des accélérations, mais aussi des reculs, des virages, des retours en arrière et des impasses, il n’est pas linéaire, mais bifurqué et accidenté. C’est ce chemin que nous aurons à défricher, nous appuyant sur l’expérience du mouvement ouvrier et de gauche du 19e, du 20e et du 21e siècle, mais aussi sur nos propres expériences : celles que nous avons cumulées pendant le semestre passé, avec ses points faibles et ses points forts, avec ses échecs et ses réussites.
Parce que le combat que nous avons mené tout au long de ce semestre a été dur, pénible et – ce qui est communément admis – emblématique pour tous les peuples de l’Europe et du monde, qui aspirent et se battent pour renverser l’hégémonie mondiale néolibérale. La petite Grèce a mené (et continue à mener) un combat politique d’une envergure multiple à sa taille, et qui sera inscrit comme tel dans l’histoire.
C’est à nous qu’est échu de nous trouver en premier ligne de la résistance contre le capital financier mondialisé, à l’aube d’une nouvelle période historique qui aura démarré avec la crise financière de 2008. Si ce combat s’avérera le début d’une nouvelle période ou la fin de la période précédente, on ne saura pas le dire qu’après coup, ce qui dépendra de l’issue des luttes sociales et politiques. Parce que l’histoire est enregistrée de façon rétroactive, une fois que le tumulte de la bataille s’est tassé et qu’un nouvel équilibre s’établit. Et cet équilibre est encore loin.
 
6. La situation en Europe : vers un réalignement des rapports des forces
C’était justement la négociation du gouvernement grec de ces derniers mois qui a montré les limites actuelles de l’Europe existante, la dureté des mécanismes de domination du néolibéralisme, ainsi que l’existence d’un rapport des forces extrêmement défavorable, au niveau tant des institutions que des gouvernements.
Malgré cela, pour la première fois le gouvernement d’un État membre de l’UE et de la zone euro a contesté ouvertement ce rapport des forces politique, ainsi que la politique qu’il impose, à savoir la politique d’une austérité agressive, d’un ajustement budgétaire dur et de la dévaluation interne. Et ce n’est pas par hasard que cette contestation a monopolisé l’intérêt universel pendant  tout un semestre, alors qu’il a déclenché un grand débat politique à l’intérieur de l’Europe et de ses institutions.
Ce débat a mis au grand jour des brèches profondes à l’intérieur des partis sociaux-démocrates de l’Europe, a polarisé des parties des Verts européens à gauche, a mobilisé des forces sociales plus larges qui ont fait preuve de solidarité pratique avec la lutte du gouvernement grec, tout en rassemblant de très larges forces de l’intelligentsia internationale, qui ont non seulement soutenu politiquement mais aussi élaboré, sur le plan de la théorie, la critique contre le néolibéralisme extrême et la politique d’austérité.
En même temps, la question grecque a révélé le rôle hégémonique de l’Allemagne dans le processus d’imposition de programmes d’ajustement budgétaire et a obligé l’élite politique à dépenser une partie importante de son capital politique afin de créer les conditions d’un chantage effectif sur le premier gouvernement de gauche après la 2e guerre mondiale sur le continent européen.
Mais l’effort de négociation a aussi révélé les limitations structurelles délibérées et la nature politique de la Banque Centrale Européenne, qui, à cause justement du fait qu’elle n’intervient pas en tant que prêteur d’ultime ressort pour les membres de la zone euro, remplit en fait un rôle de maître chanteur financier institutionnel pour tout membre du système européen qui contesterait les orientations néolibérales de la politique européenne.
C’est donc l’ensemble de ces questions qui déclenchent une discussion très large, ainsi que des conflits politiques, qui pourront à l’avenir évoluer vers une crise généralisée de l’édifice européen, étant donné également la volonté de certaines parties de l’élite européenne d’avancer dans un processus de fédéralisation de l’Europe (Union bancaire, Ministre des Finances, renforcement du rôle de la Commission européenne) dans le sens d’approfondissement du projet néolibéral. Dans ces conflits, la Grèce devra jouer un rôle de protagoniste en cherchant à mettre en exergue les contradictions de l’Union et de la zone euro, en mobilisant des forces politiques et sociales dans le sens de la résistance, de la contestation et de la transformation des institutions européennes.
Or, la condition préalable pour mener cette lutte est que la Gauche reste au gouvernement. Parce qu’il n’y a que la Gauche qui peut jouer un rôle de catalyseur d’évolutions radicales sur le champ de bataille qu’est l’Europe actuelle. En revanche, une restauration des forces politiques du vieux système politique dans notre pays écartera pour de longues années encore la possibilité de constituer un grand mouvement internationaliste paneuropéen pouvant prétendre à mener avec succès les grandes batailles qui nous attendent.
 
7. La situation politique en Grèce
Le vrai dilemme politique auquel la Gauche doit se confronter aujourd’hui est de savoir si, en tentant d’échapper au rapport des forces politique et social défavorable qui existe en Europe, elle permettra au vieux système politique de se restaurer dans le pays ou si elle se rassemblera pour mener la lutte pour débloquer du pays de la mainmise néolibérale et de la politique mémorandaire d’austérité,  à travers aussi le gouvernement.
Pour répondre à cette question, il faudra tenir compte du fait qu’une restauration possible des partis bourgeois au gouvernement constituera une défaite historique de la Gauche, qui probablement clôturera pour une longue durée les perspectives qui ont été ouvertes par la victoire électorale-politique du 25 janvier.
Cela ne signifie nullement qu’une victoire –qui s’impose‒ aux élections du 20 septembre ne comporte pas ses propres risques : un risque de mutation du parti sous la pression de rapports des forces défavorables, mais aussi des engagements imposés par le nouveau Mémorandum, d’une perte de rigueur du parti et d’une dilution de ses liens avec les couches populaires et salariées que le parti vise à représenter, de sa conversion en un gestionnaire moins dur du néolibéralisme mémorandaire.
Il s’agit là de risques existants, dont nous devrons tenir compte dans notre effort de jouer un rôle de protagoniste, notamment en occupant d’une position de gouvernement, dans la lutte du peuple grec pour renverser le rapports des forces à l’intérieur comme à l’extérieur de notre pays. Mais le choix contraire pourrait s’avérer historiquement désastreux pour le monde du travail, puisqu’il est certain qu’un retour au pouvoir du vieux système politique va déclencher des choix vindicatifs et punitifs face à la Gauche, mais aussi face aux couches populaires, en déplaçant de façon irréversible le rapport des forces social et politique au détriment de la majorité sociale. C’est justement pour cette raison que, malgré les problèmes existants du parti, nous sommes obligés par les faits de livrer avec détermination le combat pour la victoire aux élections à venir. Dans un esprit de rassemblement et de persévérance, tout en reconnaissant tant nos faiblesses existantes que les dilemmes stratégiques que nous confrontons après l’imposition du nouveau Mémorandum.
L’objectif de SYRIZA est de mettre en œuvre, dans des conditions qui ne sont plus les mêmes après notre expérience de sept mois aux négociations et au gouvernement, un programme de gouvernement avec un horizon de quatre ans pour débloquer le pays de la mainmise du néolibéralisme et de l’austérité, pour la transformation radicale démocratique de l’État, tout en trouvant des solutions pour limiter les effets de l’Accord. Mettre en œuvre une politique qui appuiera la majorité sociale et déplacera tout le temps le curseur du rapport des forces en faveur du monde du travail.
C’est justement afin de mettre en œuvre ce programme que le gouvernement de la Gauche constitue un bastion à défendre ; voire un bastion d’une importance cruciale dans la longue lutte contre le néolibéralisme promu par le bloc de pouvoir dominant en Grèce et en Europe.
Parce que l’État n’est pas une forteresse, mais un réseau, un rapport et un champ stratégique de la lutte politique. Il ne change pas du jour au lendemain ; par contre, sa transformation qui s’impose suppose des batailles continues et successives, l’implication du facteur populaire, et une démocratisation permanente. Tout comme le néolibéralisme s’est emparé du monde à travers des restructurations et des ruptures qui ont duré quatre décennies entières, de la même façon l’objectif stratégique de la Gauche radicale, l’économie des besoins, qui va de pair avec l’élargissement et l’approfondissement de la démocratie, directe et indirecte, dans tous les champs possibles, nécessite du temps, de la patience et de la persévérance, afin de gagner du terrain dans l’Europe existante de l’austérité et du néolibéralisme dans un monde dominé par la logique de la production qui sert aux échanges et au profit.
C’est dans ces circonstances que le programme gouvernemental de SYRIZA cherche à offrir des solutions, à trouver des réponses et à ouvrir des chemins en ayant comme horizon non négociable l’émancipation sociale et politique du monde du travail et de la jeunesse.


[1]NdT : ce terme fait référence aux ‘’Memorandum of Understanding’’ conclus entre un État et ses créanciers.
[2]Place Syntagma : la place devant le Parlement grec (Vouli) à Athènes, devenue lieu de manifestations, dans un premier temps, spontanées.
[3] présenté en septembre 2014.
[4]Situation budgétaire positive de l’État, avant le paiement du service de la dette.
[5]61,3% pour le ‘NON’.
[6]Emergency liquidity assistance
[7]Réunion des ministres des finances des dix-neuf pays de la zone euro.
[8]European Financial Stability Facility
[9]European Stability Mechanism