Stratégies de la gauche dans un monde précaire

Qu’est-ce que la « précarité » et « le précariat » ?

Mikko Jakonen, un universitaire et militant finlandais a présenté le terme « précarité » ainsi que son cadre théorique. La précarité en tant qu’insécurité de la vie et du travail et absence de protection du travail n’est pas un phénomène émergent « nouveau » que dans la phase post-fordiste, mais il a une certaine ancienneté. Le contexte actuel de précarité est vraiment lié au passage du fordisme au post-fordisme, des sociétés de bien être social aux sociétés de travail, c’est-à-dire la néo-libéralisation du travail et des vies. Nous avons noté la hausse du travail intellectuel et le déclin du travail industriel dans les sociétés occidentales et, simultanément, une prolétarisation des couches moyennes, rejetant des générations entières dans une nouvelle sous-classe précaire. Ceci s’accompagne du développement de nouveaux modes de production, de nouveaux produits tels que l’informatique et les industries créatives – un processus d’ouverture du secteur de la production, la fuite de l’usine vers une possible auto-organisation du travail. On le retrouve également dans la nouvelle organisation du temps, avec la disparition de la frontière entre temps de travail et temps libre dans un nouveau rythme de vie.

Tout cela s’accompagne d’une crise des politiques de gauche et syndicales (comment organiser la classe ?) ainsi que par un fossé entre génération (générations plus âgées organisées, les jeunes vivant dans des conditions précaires non syndiqués).

Le « mouvement contre la précarité » moderne a son origine en Italie, où, en 2003, un «EuroMayDay» a été lancé, à l’initiative de groupes de « travailleurs à la chaîne ». Ces défilés du 1er mai de précaires se sont répandus en Europe assez rapidement et plutôt originaux et non conventionnels n’avaient que peu de chose en commun avec les marches ouvrières traditionnelles. Ces mobilisations sont des manifestations de la subjectivité des nouveaux travailleurs, le slogan étant « Le précariat est un nouveau prolétariat ». La question posée était de savoir si la lutte devait reconquérir d’anciens droits, des emplois stables etc, ou de se battre pour des droits entièrement nouveaux.

Pour les jeunes générations, ce nouveau travail précaire est déjà une sorte d ‘ « état naturel ». Dans la hiérarchie du précariat, il y a des gagnants et des perdants. La nouvelle classe moyenne est jeune, a des horaires de travail flexibles, ont des emplois atypiques ou sont des travailleurs indépendants, alors que la nouvelle sous-classe est totalement dépourvue de tout droit. Dans les deux cas, la triste réalité est que la solidarité et les luttes pour l’organisation du travail deviennent difficiles, voire impossibles : sur le marché du travail précaire chacun se bat contre chacun.

Pour combattre l’individualisation et l’isolement, les mouvements précaires ont demandé ensemble un revenu minimum.

En ce qui concerne le concept de revenu minimum, un concept de sécurisation de l’énergie de base a été mis au point par le PC autrichien. Barbara Steiner de Transform! Autriche a présenté ce concept comme une stratégie possible contre la pauvreté énergétique, c’est-à-dire l’absence d’aprovisionnement en énergie de base, combiné avec une approche écologique.

Un autre problème croissant est celui de la privatisation du logement et de la tendance à la diminution des biens publics. Edvin S. Frid de la CMS a présenté son étude sur la situation du logement à Stockholm. Les politiques de logement visant à transformer les locations publiques en propriétés privées ont conduit à la pénurie de logements, à des prix élevés et à la ségrégation sociale et ethnique.

On a dit plus haut combien il est difficile d’organiser les travailleurs précaires. Un exemple de réussite a été donné par Erik Helgeson, docker temporaire et syndicaliste, qui a présenté l’organisation et les stratégies de lutte du travail des dockers « temporaires » du port de Göteborg. Les dockers temporaires représentent une forme singulière de travail temporaire en Suède, parce que ce n’est que dans les ports, qu’on peut être employé à titre temporaire pour une durée illimitée. Les dockers ont mis au point un système permettant de ne pas dépendre du bon vouloir de leurs employeurs, répartissant le travail eux-mêmes avec une liste tournante pour les emplois, combinée avec des d’ancienneté / priorité.

Cornelia Hildebrandt de la Fondation Rosa Luxemburg a présenté les résultats de 10 ans de lois néolibérales en Allemagne. Bien que le discours du gouvernement ait été « nous sommes les gagnants de la crise » et malgré le silence des mouvements sociaux en charge des questions sociales, les Allemands sont plongés dans une crise permanente. Le tournant (social-démocrate) vers le néo-libéralisme, les lois Hartz IV en particulier, ont complètement et durablement déstabilisé le système social. Les salaires connaissent une baisse depuis des années, alors que les contrats de travail temporaire ont connu une croissance rapide, en particulier dans le secteur des exportations, base du «miracle allemand».

Les pays sous la « supervision » de la Troïka constituent des exemples de précarisation extrêmement rapide depuis le début de la crise. Stavros Panagiotidis de l’Institut Nikos Poulantzas a présenté la situation grecque. L’imposition des mesures d’austérité a provoqué une hausse du chômage, surtout chez les jeunes, la paupérisation d’une grande partie de la société et l’abolition de presque tous les droits des travailleurs. Des réseaux de solidarité, dont la conception est celle d’une participation égale dans dignité et la résistance et non de la charité, sont présentés comme des laboratoires de transformation de l’idée d’organisation de sa propre vie, d’encouragement à l’autonomie et à l’auto-organisation.

Cristina Andrade, de cul: tra, a donné un aperçu historique des luttes ouvrières au Portugal suivie d’une présentation plus détaillée de la situation récente de la précarité et de la crise. Au Portugal, un large mouvement contre la précarité est né depuis 2003, pour protester contre les emplois précaires et mal payés, le travail faussement indépendant et les stages non rémunérés. Le Portugal étant l’« élève modèle » de la Troïka. Mais le mouvement de protestation contre la précarité de la vie et les mesures d’austérité est en plein développement.