La Norvège est plus forte que la haine et la xénophobie

Tout est très calme dans les rues. Partout il y a des fleurs. Il y a une forte volonté de ne pas laisser cette situation engendrer un climat de peur. Ce que nous voyons en ce moment c’est la Norvège et Oslo sous leurs meilleurs angles.

Si nous voulons tirer un enseignement de ces meurtres et empêcher des attaques similaires dans le futur, il est nécessaire de comprendre le contexte politique et social qui a façonné les idées d’Anders Breivik et sa vision du monde.

Le seul responsable devant la loi est Breivik lui-même. Mais son acte est un acte de terreur politique, qui reste inintelligible si on ne prend pas aussi en considération l’environnement politique. Cela concerne le thème de l’intégration et les Musulmans en Norvège et dans les autres sociétés occidentales. Breivik considère les musulmans comme une puissance étrangère occupante et parle d’une guerre permanente entre les sociétés occidentales et islamiques.

Les faits eux-mêmes n’ont que peu à voir avec l’islamophobie. Pas plus de 3,5 pour cent de la population norvégienne est musulmane. Malgré cela, des groupes islamophobes ne cessent d’affirmer que l’Islam représente un danger pour le monde occidental et donc également pour la Norvège. Souvent les arguments sont d’ordre démographique: dans quelques années, les musulmans seront majoritaires. On laisse entendre ainsi implicitement que les musulmans ne sont pas seulement dangereux en général, mais qu’ils le sont invariablement, et depuis (ou même avant) leur naissance. Ces groupes voient ceux qui ne considèrent pas les musulmans comme un danger, comme des traîtres. Dans leur esprit, cela légitime le recours à des moyens radicaux. Et si l’on pense aux moyens applicables aux traîtres dans des situations de guerre, il est facile de comprendre que certaines personnes peuvent être amenées à des actes de violence.

Le gain de popularité des groupes populistes de droite en Scandinavie montre que la haine surgit, si on transforme des gens en boucs émissaires de toutes sortes de problèmes sociaux et économiques. Le plus souvent quand les gens échangent leur point de vue et justifient leur vision du monde – sur les différents sites web ou les pages de commentaires – un système de référence idéologique se crée. Si vous jetez un rapide coup d’œil au Manifeste de Breivik, vous verrez qu’il n’y a pratiquement rien de nouveau. En termes d’objectifs et de points de départ, on peut retrouver la plupart d’entre eux dans de nombreux forums sur Internet, mais aussi, de façon croissante, dans les canaux traditionnels. Et cela ne se limite pas à la Norvège. Cela pourrait aussi arriver au Danemark, en Hollande, en Autriche ou en Italie. Là, on peut retrouver les mêmes univers de pensée au sujet des musulmans.

Dans la plupart des cas, le populisme de droite est fortement lié à la situation politique dans chaque pays. Dans les pays nordiques, les populistes de droite ont toujours tracé une ligne de démarcation claire par rapport aux partis sociaux-démocrates, qui, dans leur esprit, ont toujours été des traîtres à telle ou telle cause. Ce qu’il est intéressant de noter, cependant, c’est que la rhétorique islamophobique est entre-temps devenu un dénominateur commun aux partis de droite populiste. Bien qu’ils viennent de différents horizons idéologiques et historiques, tous ces partis ont dans leurs programmes une rhétorique islamophobique qui apparaît également dans le manifeste Breivik. C’est un mouvement transnational qu’il faut comprendre, analyser et dénoncer activement.

La stratégie de certains partis sociaux-démocrates consistant à reprendre des éléments de droite populiste, est désastreuse. La configuration générale dans laquelle la droite populiste pouvait prospérer reposait sur l’affaiblissement de la social-démocratie – du moins dans les pays nordiques. Ce qui a été le plus décisif, cependant, a été la diffusion du conflit politique sur l’axe socio-économique. Si en tant qu’électeur, je ne peux plus distinguer de différences claires entre les sociaux-démocrates et conservateurs en matière de politique économique, de réforme de l’État providence et de lutte contre le terrorisme, ce qui conduira à affaiblir mon intérêt pour la politique ou à donner la prééminence à d’autres sujets, par exemple, à ce que l’on appelle des sujets culturels ou au thème de l’immigration.

Pour lutter avec succès contre la force croissante du populisme de droite, deux choses sont nécessaires : d’abord, il faut comprendre que l’islamophobie est la forme que le fascisme et le racisme revêtent aujourd’hui et, deuxièmement, les partis progressistes doivent retrouver leur rôle de véritables représentants fiables des intérêts sociaux et économiques du peuple.

J’espère que la force si impressionnante montrée dont a fait preuve la société norvégienne ces temps-ci pour revenir à ses valeurs originelles, comme l’égalité de tous, quel que soit leur origine et leur religion, se poursuivra. C’est et c’était aussi la Norvège. Et j’espère que cette Norvège saura prouver qu’elle est plus forte que la haine et la xénophobie.