Évolution finlandaise et permanence suédoise — des divergences autour de l’entrée dans l’OTAN

Jukka Pietiläinen présente les positions de gauche sur l’adhésion à l’OTAN en Suède et en Finlande. Si les deux pays veulent se porter candidats, les analyses et opinions nationales divergent.

Après le début de l’attaque russe contre l’Ukraine, la Finlande et la Suède ont toutes deux décidé de se porter candidates pour entrer dans l’OTAN. Les deux pays étaient jusqu’ici plutôt opposés à cette adhésion, bien que travaillant en étroite coopération avec l’OTAN depuis des décennies. À gauche spécifiquement, l’évolution finlandaise a été importante. La question de l’adhésion à l’OTAN divise le principal parti radical de gauche finlandais, l’Alliance de gauche (Vasemmistoliitto en finnois), lequel participe au gouvernement de centre-gauche et écologiste. En mai dernier, neuf des 16 député·es de l’Alliance de gauche ont voté pour l’adhésion, et six ont voté contre (il y avait une absence). En Suède, parallèlement, le Parti de gauche a continué d’afficher une position défavorable à l’OTAN.

Toujours en mai, l’Alliance de gauche a décidé à une majorité tranchée (52 votes pour, 10 votes contre, 1 vote nul), lors d’une réunion conjointe du conseil du parti et de son groupe parlementaire, que la candidature de la Finlande à l’OTAN ne constituait plus un motif pour quitter la coalition gouvernementale. Lors de la formation du gouvernement en 2019, le refus de l’adhésion à l’OTAN avait été l’un des points essentiels posés par l’Alliance de gauche comme condition de sa participation, quand bien même le parti acceptait, dans le cadre de l’accord de coalition gouvernemental, la possibilité pour le pays de se porter candidat à l’entrée dans l’OTAN si cela était jugé nécessaire.

L’Alliance de gauche finlandaise et l’OTAN

Alors que le risque de guerre avait été jusqu’à présent considéré comme très improbable en Finlande, la guerre en Ukraine a fait bouger les lignes du débat sécuritaire finlandais. Dans les sondages, le soutien à l’adhésion à l’OTAN n’a jamais dépassé 30 %, oscillant de manière régulière aux alentours de 22-25 %. En 2020, pas moins que 86 % de l’électorat de l’Alliance de gauche s’était opposée à l’adhésion de la Finlande. Mais à l’automne 2021, ce chiffre était tombé à 67 %.

Après le début de la guerre, les opinions à propos de l’OTAN se sont radicalement modifiées. Tout au long du printemps 2022, le soutien à la participation à l’OTAN a grimpé de 50 % fin février à 75 % en mai et juin. Dans l’électorat de l’Alliance de gauche, le soutien à l’adhésion est passé d’environ 40 % en mars à au moins 47 % (variations entre sondages) en mai. Le même mois de mai, 69 % de l’électorat de l’Alliance de gauche considérait la coopération militaire avec l’OTAN comme très positive ou plutôt positive. Et pas moins de 97 % de l’électorat de la formation de gauche jugeait positive la coopération militaire avec l’UE.

Malgré la rapidité de ces changements d’opinion, le soutien à la participation à l’OTAN reste plus faible que prévu. En janvier 2022, un sondage donnait la moitié (49 %) de l’électorat de l’Alliance de gauche comme étant favorable (entièrement ou partiellement) à la demande d’adhésion de la Finlande à l’OTAN dans le cas où la Russie entrerait en guerre ouverte avec l’Ukraine. Ce chiffre était à peine inférieur à celui de la population totale en moyenne (60 %).

À l’Assemblée, les député·es de l’Alliance de gauche qui ont voté en faveur de l’adhésion étaient en moyenne plus jeunes que celles et ceux qui s’y sont opposé·es, tandis que n’a transparu aucun autre facteur de division basé sur le genre, la région ou autres facteurs. La tête du parti s’est prononcée quant à elle de manière largement favorable à l’entrée dans l’OTAN, et les parlementaires les plus en vue ont voté pour.

Lors de l’annonce de leur décision de se prononcer en faveur de l’OTAN, les député·es de l’Alliance de gauche ont en général déclaré que la décision avait été difficile à prendre et que l’adhésion à l’OTAN, bien qu’elle ne soit pas idéale, était une étape nécessaire dans un environnement de sécurité modifié. Le principal argument avancé en faveur de OTAN est que la Finlande doit choisir le moindre mal entre deux mauvaises options.

Ainsi que l’a formulé Hanna Sarkkinen, ministre des Affaires sociales et de la santé : « J’aimerais penser qu’un autre monde est possible, mais des solutions doivent être trouvées dans le monde réel, et ces solutions ne sont pas toujours idéales. » L’ancien vice-président du parti Jussi Saramo a qualifié le vote favorable à l’entrée dans l’OTAN de « réalisme politique ».

Le 12 juin dernier, le congrès national de l’Alliance de gauche s’est prononcé en faveur d’un changement de sa position sur l’OTAN, validant de nouveaux d’objectifs programmatiques pour 2022-2025. Selon les formulations qui ont été validées, le parti accepte la perspective de l’adhésion à l’OTAN comme une réalité et déclare que cela diminuera les menaces pesant sur la sécurité de la Finlande. Une motion opposée, qui a obtenu 25 % des voix, stipulait que la Finlande devait rester neutre sans adhérer à aucune alliance militaire, et que l’adhésion à l’OTAN n’apporterait pas de sécurité accrue pour la Finlande.

Selon des sources internes au parti, un petit nombre de ses membres ont annoncé rendre leur carte en raison de la position adoptée sur l’OTAN. La moitié de ces membres justifient leur départ par l’abandon par le parti de son ancienne position anti-OTAN, et l’autre moitié par leur souhait de voir le parti adopter une attitude plus positive envers l’entrée dans l’OTAN.

En Finlande, tous les partis grands et de taille moyenne ont accepté l’adhésion à l’OTAN, tandis que les petits partis d’extrême droite et le Parti communiste finlandais y restent seuls opposés. Le Parti communiste finlandais s’oppose également à l’exportation d’armes vers l’Ukraine.

Le Parti de gauche suédois maintient sa position

Au Parti de gauche suédois (Vänsterpartiet en suédois), la guerre en Ukraine a provoqué là aussi des divisions internes. Même si le parti ne s’oppose plus aux exportations d’armes vers l’Ukraine, ni le Parti de gauche ni la majorité de son électorat n’ont bougé leur position sur l’OTAN. Le soutien au Parti de gauche quant à lui s’est affaibli, passant de 10 % à 8 % depuis le début de la guerre en Ukraine.

Traditionnellement, l’opinion publique suédoise se montre elle-même plutôt défavorable à l’OTAN, bien que dans une mesure légèrement moindre qu’en Finlande. En 2018, le soutien à l’entrée dans l’OTAN est monté à 30-35 %, contre un refus en baisse passant à un tiers également. Dans l’électorat du Parti de gauche, le soutien à la participation dans l’OTAN se situait entre 6 et 12 % durant la période 2005-2019.

L’évolution suédoise a été moins spectaculaire qu’en Finlande. En mai 2022, ce sont autour de 50 à 60 % de la population suédoise qui soutiennent l’entrée dans l’OTAN. Dans l’électorat du Parti de gauche, le soutien à la participation à l’OTAN n’est monté qu’à 13 %. Il n’est dès lors pas surprenant que, face au maintien de cette opinion défavorable, le Parti de gauche ait déclaré que l’entrée dans l’OTAN devait être décidée par référendum.

En Suède, la menace russe n’est pas perçue avec autant d’intensité qu’en Finlande, et la tradition de neutralité y est plus forte. De plus, le Parti de gauche suédois se montre également plus critique envers l’Union européenne et, ne participant pas au gouvernement, il n’a pas besoin de s’adapter au consensus politique en place.

Des groupes plutôt marginaux de la gauche suédoise critiquent le Parti de gauche pour sa position de soutien aux exportations d’armes vers l’Ukraine, et le Parti de gauche, de son côté, n’a pas pris part aux quelques manifestations pour la paix où défilait la gauche suédoise extra-parlementaire.

Conclusion

Les partis de gauche finlandais et suédois affichent des positions différentes qui s’appuient sur les opinions de leur base et leur électorat. Ces opinions sont en général défavorables à l’entrée dans l’OTAN en Suède, et elles sont partagées mais globalement favorables en Finlande. Elles reflètent en outre les différentes réalités politiques auxquelles se confrontent ces partis. L’Alliance de gauche finlandaise participe régulièrement aux coalitions gouvernementales, tandis que le Parti de gauche suédois rechigne essentiellement à soutenir le gouvernement minoritaire depuis les bancs de l’opposition. De plus, il existe traditionnellement un plus fort consensus en Finlande sur les questions de politique étrangère et de sécurité.