Crises financières, des guerres qui taisent leur nom

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transform europe a mis en place en 2023 un nouveau groupe de travail sur l’économie pour réagir à la crise actuelle provoquée par la phase récente du capitalisme, laquelle génère une crise du coût de la vie inédite et parallèlement aggrave le réchauffement climatique. Cette crise est souvent décrite comme une crise multiple ou polycrise, alors qu’elle a une racine unique : le capitalisme mondial. Les dernières semaines ont une nouvelle fois démontré cette crise fondamentale : l’effondrement d’une banque régionale unique dans l’ouest des États-Unis a déclenché une crise bancaire menant à l’effondrement spectaculaire en Suisse de l’une des 30 « banques systémiques » mondiales, une banque considérée comme « too big to fail » (« trop grosse pour faire faillite », expression utilisée pour désigner les établissements perçus comme essentiels à l’économie et à la finance et qu’il faut donc sauver impérativement de la faillite). Afin d’éviter un effondrement global du système financier, le gouvernement suisse a imposé la fusion de Crédit suisse et UBS. Le problème est-il résolu et maîtrisé ? Loin de là. Le gouvernement n’a pu que retarder une crise à venir bien plus grave, car le bilan combiné de la nouvelle banque ainsi créée représente deux fois le montant du PIB de la Suisse. Il sera radicalement impossible à l’État suisse de maintenir cet institut financier en vie lorsque la prochaine crise frappera le système financier. Dans l’analyse qui suit, Luca Lombardi examine de manière brève et précise pourquoi nous nous retrouvons au bord d’une débâcle et formule quatre revendications concrètes pour parer au danger que le secteur financier libéralisé fait peser sur nos sociétés. (Roland Kulke)

La guerre qui vient n’est pas la première. Il y a eu d’autres guerres avant elle B. Brecht

On dit souvent que la solution à une crise antérieure devient la cause de la crise suivante B.Mahapatra

L’histoire du capitalisme moderne est jalonnée de crises financières. Comme les guerres, les crises financières découlent de l’impossibilité pour le mécanisme ordinaire d’accumulation du capital de se poursuivre, même si, bien sûr, elles ont aussi d’autres causes encore. En outre, comme les guerres, les crises financières entraînent la disparition des concurrents les plus faibles et se terminent par la mobilisation totale des ressources de l’État. Discutant la nature de la guerre, Clausewitz a observé qu’« il vaudrait mieux la comparer, plutôt qu’à un art quelconque, au commerce, qui est aussi un conflit d’intérêts et d’activités humaines ; elle ressemble encore plus à la politique, qui peut être considérée à son tour, du moins en partie, comme une sorte de commerce à plus grande échelle » (Clausewitz, éd. française, livre II, p. 144-146). Si nous plaçons également la crise financière dans ce tableau, nous obtenons une extraordinaire synthèse des liens entre la guerre, la politique et les crises.

Chaque crise a ses causes spécifiques qu’il faut analyser pour comprendre celle-ci mais, surtout, ses causes présentent chaque fois le même mécanisme qui peut se résumer à la nécessité pour le capital de s’accumuler à la vitesse maximale possible. La nature du capital est de s’affranchir de toute limite, et tout ce qui constitue une limitation est donc rejeté comme une cellule étrangère à l’organisme, ainsi que le notait Marx : « La véritable barrière de la production capitaliste est le capital lui-même ». Paradoxalement, plus le capital réussit à croître, plus se créent d’obstacles sur la voie de l’accumulation, ce qui l’oblige à recourir à des aides extérieures. Celles-ci sont essentiellement au nombre de deux : l’État et les banques.

C’est là une profonde intuition de Minsky : le rôle croissant de la finance implique un rôle croissant des finances publiques (Minsky, 1986). Il n’était pas facile de défendre cette analyse à l’époque Thatcher-Reagan, où l’État apparaissait comme une vieille relique bonne à jeter. Minsky explique que plus les banques et les marchés financiers sont grands, plus le rôle des banques centrales et du gouvernement dans l’économie se fait essentiel. En réalité, le recul de l’État n’a jamais eu lieu, car sans une garantie publique implicite ou explicite sur leurs activités, les banques sont incapables de survivre longtemps. Ce qui a changé, c’est la nature du rôle de la puissance publique dans l’économie, un rôle dorénavant orienté vers le soutien à l’accumulation de capital et à la croissance des marchés financiers. L’exemple de la sécurité sociale illustre cela particulièrement bien : en la sapant, les États ont favorisé la croissance des fonds de pension privés. Aujourd’hui, les marchés financiers et l’État sont tels deux objets suspendus aux bras d’une même balance. Si le poids de la finance privée s’accroît, l’autre doit également s’accroître afin de maintenir l’équilibre. C’est là une idée qui diverge fortement de la représentation dominante selon laquelle la dette publique évincerait l’investissement privé. La réalité est autre : la machine à investir moderne repose sur les marchés financiers (actions, obligations, crédit, produits dérivés, etc.) mais ne peut survivre sans l’action équilibrante du gouvernement.

Le modèle économique des banques est intrinsèquement fragile

Le modèle économique des banques est intrinsèquement fragile. Cela vaut pour les capacités des banques à la fois en termes de passif et d’actifs. Concernant le passif, il se compose principalement de dépôts qui sont en partie constitués de l’épargne des travailleurs et des bénéfices non réinvestis des entreprises, et en partie aussi créés directement par les banques dans le cadre de leur fonction de crédit. La possibilité pour les banques de créer de la monnaie (la « monnaie endogène ») a souvent été niée par le courant économique dominant, à quelques exceptions près (McLeay et al., 2014 ; Jakab et Kumhof, 2015). En réalité, c’est précisément parce que les banques peuvent créer de la monnaie à volonté qu’elles peuvent financer l’investissement et la spéculation financière. D’une manière générale, il leur faut créer une quantité optimale de monnaie liée à leur anticipation du remboursement effectif des dettes par leurs clients (entreprises et ménages) mais personne ne sait ex ante quelle est cette quantité. De plus, chaque banque essaie de créer le maximum possible de la quantité optimale, ce qui collectivement engendre un effet de bulles financières qui aboutissent à l’ resserrement du crédit. Le fait que la quasi-totalité de l’argent que nous utilisons pour le moindre achat (bref, nos dépôts bancaires) soit créée par des intermédiaires privés à des fins de maximisation du profit rend l’intervention publique indispensable. Les prêts publics en dernier ressort, la garantie des dépôts, la supervision bancaire sont des outils créés au fil des siècles pour empêcher la destruction de l’économie par le comportement des banques privées.

En ce qui concerne les actifs, les banques devraient sélectionner soigneusement leurs débiteurs. Cependant, plus elles accordent de crédits et achètent d’actifs, plus elles engrangent de profits. La prudence imposée par les pouvoirs publics est donc l’ennemie des banques. Il n’empêche que banques centrales et gouvernements sont plutôt enclins à se montrer très proches des intérêts des grandes banques. Comme le remarque S. Johnson : « Les établissements surdimensionnés exercent une influence disproportionnée sur les politiques publiques » (Johnson, 2009). Cela pouvait se vérifier déjà il y a quelques dizaines d’années, mais aujourd’hui, les banques ont acquis une taille si imposante qu’il est devenu impossible d’être en contradiction avec elles au risque sinon de compromettre la survie de l’économie nationale. Pour citer un exemple extrême, la fusion proposée entre Crédit suisse et UBS créera une banque dont le total des actifs représentera plus de deux fois le PIB de la Suisse. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de lobbying ou de pantouflage, mais d’une annexion pleine des institutions publiques à la sphère du capital financier (Johnson et Kwak, 2010). Après chaque crise majeure, les autorités publiques et les organismes internationaux de normalisation tels que le Comité de Bâle s’efforcent de mettre en œuvre des règles plus strictes. Celles-ci, bien qu’utiles, n’éliminent pas cependant les problèmes futurs mais rendent seulement le secteur moins contestable, ce qui en retour est ainsi de nouveau favorable aux grandes banques. Le besoin croissant d’endettement pour faire tourner la machine à investir détermine ce que nous appelons la « financiarisation » (sur le sujet : Palley 2007 ; Whalen 2017). Elle rend les banques de plus en plus importantes pour l’économie mondiale, et cette dernière de plus en plus fragile.

Si les crises financières sont inévitables, leur extrême vitesse est également liée au modèle économique même des banques. On entend souvent dire que la valeur de l’argent et la survie des banques dépendent toutes deux de la confiance qu’on leur accorde. Cela tient au fait que le modèle économique bancaire repose sur un décalage qui peut sembler insensé. Alors que la plupart des engagements des banques sont des dépôts, susceptibles donc d’être réclamés à tout moment par leurs clients, leurs actifs sont quant à eux classiquement à long terme (il suffit de penser à une obligation à 10 ans ou à un prêt hypothécaire à 25 ans). Ce décalage structurel ne peut être évité car il constitue la raison d’être des banques : centraliser les liquidités et les utiliser pour financer entreprises et ménages. C’est pourquoi les ruées sur les banques ont chaque fois constitué un risque potentiellement fatal. Ce qui est encore plus grave, la ruée sur une banque peut facilement se propager à d’autres établissements, anéantissant ainsi le système bancaire en l’espace de quelques semaines voire de quelques jours. Aucune solution privée n’a jamais été apportée à ce problème et, aujourd’hui, des systèmes de garantie publique, comme le FDIC aux États-Unis, ont pour mission d’assurer que tout se passe bien.

Vulnérabilité aux crises qu’aggravent les (dé)réglementations favorables au marché

La réglementation bancaire et le contrôle public des banques en général ont été développés après la double crise de 1929-1931 et, pendant des décennies, ont permis la stabilité des marchés financiers. Cette période a été qualifiée de « répression financière » parce que les banques étaient détenues par l’État ou strictement réglementées, que la mobilité des capitaux était faible et que le capital financier n’était pas libre d’opérer. À partir des années 1980, les règles publiques ont été supprimées ou amoindries. La déréglementation comme la réglementation dans un sens favorable au marché étaient considérées comme plus efficaces, car les banques étaient vues comme les acteurs compétents par excellence dans leur domaine. Cependant, plus les marchés financiers étaient déréglementés, plus ils se retrouvaient sujets aux crises. En 1992, le SME (le système monétaire européen qui régissait la monnaie européenne avant l’euro) s’est effondré, éjectant l’Italie et la Grande-Bretagne du mécanisme. Les spéculateurs financiers ont mené, et gagné, une bataille sanglante contre les grandes banques centrales. Cela n’a pas altéré le cours des choses dans les économies avancées. Privatisation et déréglementation se sont poursuivies à un rythme soutenu. Puis une série de crises importantes ont frappé les économies en développement, comme la crise des tigres asiatiques de 1996, la crise mexicaine de 1994, les crises brésilienne et russe de 1998 ou encore la crise argentine de 2001. L’explication fournie par le courant économique dominant était que ces crises étaient dues au sous-développement de la finance et du capitalisme en général. Elles auraient été marquées par un capitalisme de copinage typique de l’Asie ou de l’Amérique latine. Quant à la crise américaine des « dotcom » de 2000, elle aurait été l’aube de l’économie numérique. Enfin, en 2008, la plus grande crise des temps modernes a frappé les centres financiers les plus importants et les plus avancés du monde : les places de Wall Street et de la City ont été dévastées par l’effondrement des marchés et des banques. Du jour au lendemain, les discussions interminables des économistes sur la  « discipline de marché » se sont tues, et les États et les banques centrales ont déversé des milliards d’euros dans le système pour calmer la situation.

Après 2008, comme toujours après une grande crise, une vague de re-réglementation a suivi. Le mantra était « Plus jamais de renflouement par les contribuables ». Cependant, nous avons expliqué plus haut pourquoi les faiblesses sont intrinsèques au modèle économique bancaire de création d’argent et de financement des investissements. Les souvenirs d’une crise majeure, si douloureux soient-ils, s’estompent rapidement. Ainsi, en 2011-2012, l’effondrement des États membres les plus faibles de la zone euro, à commencer par la Grèce et Chypre, a déclenché la « crise des spreads », qui risquait de faire sombrer l’euro dans son ensemble. Une fois de plus, la BCE a été contrainte d’intervenir au moyen de sommes illimitées. Dans son fameux discours « whatever it takes » (« quoi qu’il en coûte »), Draghi a formalisé cette position et mis fin à la crise (BCE, 2012). Pour la énième fois, ce sont les autorités publiques et non la discipline de marché qui ont fourni le seul moyen d’échapper à l’effondrement financier. Certes, les banques européennes qui ont acheté des obligations grecques ont été sauvées, mais pas le peuple grec, et celui-ci s’est vu contraint à une réduction brutale de ses conditions de vie, répercutée dans tous les indicateurs sociaux nationaux. C’est après cet épisode que, en 2014, l’Union bancaire a été instaurée, donnant à la BCE la responsabilité de superviser les plus grandes banques de l’UE. Une fois de plus, cette nouvelle règle et d’autres encore ont été présentées comme le vaccin contre les crises futures. Nous utilisons l’analogie avec le vaccin parce que, quelques années plus tard, la pandémie de Covid-19 a éclaté, obligeant, entre autres conséquences, les banques centrales et les gouvernements à intervenir pour empêcher l’effondrement de l’économie et du système bancaire. Enfin, au début de l’année 2023, l’effondrement de certaines banques américaines de taille moyenne, comme la Silicon Valley Bank mais aussi celui du géant Crédit Suisse, ont ouvert un débat sur la possibilité d’une nouvelle crise financière générale.

Nous ne prétendons pas approfondir ces épisodes récents dans le présent article, mais nous abordons quelques questions de fond pertinentes. Pour sauver les banques de la mort, les banques centrales ont été contraintes, après 2008, de maintenir les taux d’intérêt à zéro, si bien qu’une nouvelle ère de taux zéro permanents a été évoquée (Bayoumi et al., 2014 ; FMI, 2017). L’argent gratuit n’a pas servi l’investissement réel, car la croissance économique et la demande globale étaient de toute façon faibles. Cependant, il a alimenté une bulle financière après l’autre parce que cette immense liquidité n’a pas trouvé d’autre endroit où aller. La bulle des crypto-monnaies n’a été que la plus connue d’entre elles. Ce processus, que les économistes appellent l’inflation des actifs, n’a pas inquiété les banques centrales car il n’a pas interféré avec l’inflation, il a seulement augmenté la concentration de la richesse au sommet de la société (Mersch, 2020). Ainsi, par exemple, l’indice Dow Jones, l’indice boursier le plus célèbre au monde, a quadruplé de 2009 à 2022, alors que le PIB américain n’a augmenté, dans la même période, que de 50 %, soit un huitième du Dow Jones. Lorsque la pandémie et la guerre en Ukraine ont entraîné le blocage pendant des semaines ou des mois des chaînes d’approvisionnement et que la spéculation financière sur les matières premières a provoqué une augmentation rapide de l’inflation « réelle » (c’est-à-dire de l’indice des prix à la consommation), les banques centrales ont entamé des cycles d’augmentation des taux pour provoquer une récession et ainsi stopper l’inflation. Nous ne pouvons pas discuter l’inefficacité, pour ne pas dire plus, de cette politique, nous constatons seulement qu’elle conduit à une augmentation des taux d’intérêt payés par l’État, les entreprises et les ménages, ce qui accroît les difficultés de remboursement de la dette. Ceci alors que la pandémie a déjà accru la dette publique.

En Europe, aux États-Unis et ailleurs, les banques ont acheté un montant colossal de dette publique au cours des deux dernières décennies. Par exemple, à la fin de 2022, les banques américaines en détenaient pour 4 400 milliards de dollars, soit environ 20 % de leurs actifs totaux. Étant donné que chaque obligation présente une relation inverse entre le prix et le rendement (parce que le taux d’intérêt nominal de l’obligation est fixe, donc le prix augmente ou diminue pour s’aligner sur les taux d’intérêt en vigueur sur le marché si les rendements changent), lorsque les taux augmentent, la valeur de cet énorme portefeuille de dette publique accumule des pertes. Les banques qui sont obligées d’en vendre une partie importante subissent des pertes considérables. De nombreuses banques survivront à ces pertes, d’autres non. Si les investisseurs et les déposants cèdent à la panique, les pertes de quelques banques provoqueront l’effondrement de l’ensemble du système. Il est intéressant de noter que, malgré toutes leurs différences, l’effondrement de banques américaines de taille moyenne et l’effondrement soudain de Crédit Suisse ont tous deux été traités, comme toujours, avec d’énormes quantités d’argent public sous diverses formes. Il est également utile de noter que, ce faisant, les gouvernements ont piétiné leurs propres lois. Par exemple, aux États-Unis, les agences fédérales ont garanti les dépôts au-delà de la limite de 250 000 dollars ; en Suisse, la banque centrale a assumé les pertes sur les actifs de Crédit suisse pour s’assurer qu’UBS l’achèterait, et ainsi de suite. Les plaintes sur la gourmandise excessive des banquiers et l’usage d’argent public pour sauver les gros actionnaires en laissant les petits épargnants sur le carreau ponctueront les semaines à venir, mais elles sont futiles. C’est ainsi que fonctionne le système bancaire. Il est inutile de condamner la cupidité des banquiers, autant qu’il l’est de se plaindre que les piranhas essaient de dévorer tout ce qu’ils rencontrent. Mais le fait est que nous ne vivons pas dans des rivières infestées de piranhas. Nous ne devrions pas vivre dans des pays infestés de banquiers cupides.

Existe-t-il des alternatives face à tout ça ?

 Comme nous l’avons vu, des règles plus strictes ne font pas vraiment la différence lors des crises financières. Les experts économiques le savent. Un célèbre éditorialiste économique du Financial Times a récemment déclaré : « Les banques sont conçues pour faire faillite. Les gouvernements veulent qu’elles soient à la fois des lieux sûrs où le public peut garder son argent et des preneurs de risques à la recherche de profits. Elles sont tout en même temps des services publics réglementés et des entreprises qui prennent des risques. La direction de ces banques est incitée à la prise de risque, tout comme les États ont intérêt à sauver ce service public lorsque la prise de risque le fait exploser. Il en résulte une instabilité coûteuse » (Wolf, 2023). En d’autres termes, il n’y a pas de solution.

Modifier en profondeur le paysage bancaire pour des solutions plus efficaces

Tout d’abord, les banques sont trop grandes. Nous avons vu que même des banques de taille moyenne peuvent causer des dégâts sur les marchés, mais lorsqu’un conglomérat financier géant coule, c’est le monde entier qui est entraîné dans sa chute. Il faudrait imposer un plafond à leur taille, par exemple 250 milliards de dollars pour leurs actifs (Stiglitz, 2009 ; Singh, 2013 ; Mastromatteo et Esposito, 2016). Ainsi, même les grandes banques seraient petites par rapport au budget de l’État et elles ne seraient pas incitées à croître indéfiniment. À titre d’exemple, aux États-Unis, dix banques dépasseraient la limite, et les deux plus grandes sont environ dix fois plus grandes. La situation est encore pire dans l’UE. Des dizaines de banques de taille moyenne auraient beaucoup moins d’influence politique et rendraient le secteur plus compétitif et plus orienté vers le client.

Une deuxième mesure consisterait à contrer la recherche insatiable de profits des banques en plafonnant, par exemple, les mesures de rentabilité couramment utilisées telles que le ROE (rentabilité des capitaux propres, RCP) ou le ROA (rentabilité des actifs), afin d’empêcher les dirigeants de poursuivre des stratégies de plus en plus agressives pour augmenter leurs profits. Par exemple, les PDG de sept banques américaines sont payés chacun plus de 20 millions de dollars par an (pour la situation en Europe, voir ABE, 2023).

Une troisième idée est l’abolition pure et simple des bonus et autres systèmes de rémunération variable pour les cadres dirigeants, afin que les banquiers ne soient plus incités à risquer la santé de l’économie mondiale pour gagner plus d’argent. Il s’agit là d’idées sensées, bien que politiquement irréalisables en raison de la puissance des grandes banques.

Pour plus de faisabilité, il faudrait que les grandes banques retournent dans le giron de l’État. La quatrième mesure consiste à nationaliser les banques et à les gérer comme les hôpitaux et les écoles, car elles fournissent des services essentiels à la communauté. On devrait, par exemple, nationaliser les banques qui représentent plus de 10 % du PIB, au lieu de nationaliser, comme c’est le cas actuellement, leurs pertes pendant les crises tout en leur laissant à elles seules les bénéfices en période de prospérité. Aujourd’hui, par exemple, une telle mesure concernerait 5 banques en France, 2 en Allemagne, 3 en Italie et 4 en Espagne.

Nous avons utilisé l’analogie entre les guerres et les crises financières pour mettre en évidence certaines de leurs caractéristiques et l’origine ultime qui leur est commune. Il convient d’ajouter que le monde ne pourra se débarrasser des premières que lorsqu’il se débarrassera des secondes.

Luca Lombardi est diplômé en économie et titulaire d’un doctorat en économie, expert en réglementation bancaire et stabilité financière, il a travaillé pendant 25 ans dans le système bancaire.


Références

ABE (2023). Rapport de l’ABE sur les hauts revenus. Données à fin 2021, Autorité Bancaire Européenne, Paris.

Bayoumi T. et al. (2014). Monetary Policy in the New Normal, IMF Staff Discussion Note no. 14/3, Washington.

Clausewitz C. (1976). On War, Oxford University Press, Oxford. Ed. française: (1955) De la Guerre, Minuit, Paris.

BCE (2012). Discours de Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, Global Investment Conference, Londres, 26 juillet.

FMI (2017). Negative Interest Rate Policies – Initial Experiences and Assessments, Document de politique générale du FMI, août.

Jakab Z., Kumhof, M. (2015). Banks are not intermediaries of loanable funds – and why this matters, Bank of England Working Paper no. 529, Banque d’Angleterre, Londres.

Johnson S. (2009). The Quiet Coup, The Atlantic, mai.

Johnson S., Kwak J. (2010). 13 Bankers. The Wall Street Takeover and the Next Financial Meltdown, Vintage Books, New York.

Mastromatteo G., Esposito, L. (2016). Minsky at Basel : A Global Cap to Build an Effective Postcrisis Banking Supervision Framework, Levy Economics Institute Working Paper no. 875, Annandale-on-Hudson.

McLeay M. et al. (2014). Money creation in the modern economy, Bank of England Quarterly Bullettin no. 1, Bank of England, Londres.

Mersch Y. (2020). Asset price inflation and monetary policy, BCE, Luxembourg, 27 janvier.

Minsky H. P. (1986). Global Consequences of Financial Deregulation, Washington University Working Paper no. 96, St. Louis.

Palley T. I. (2007). Financialization: What It Is and Why It Matters, Levy Institute Working Paper no. 525, Annandale-on-Hudson.

Singh A. (2013). Too Big to Fail Bank: Examining the How of Breaking Up, Université de Harvard, Cambridge.

Stiglitz J. E. (2009). Too big to fail or too big to save? Examining the systemic threats of large financial institutions, Hearing before the Joint Economic Committee Congress of the United States of America of the One Hundred Eleventh Congress, First Session, April 21.

Whalen C. J. (2017). Understanding Financialization: Standing on the Shoulders of Minsky, Levy Economics Institute Working Paper no. 892, Annandale-on-Hudson.

Wolf M. (2023). Banks are designed to fail – and they do, Financial Times, 14 mars.