La gauche radicale et l’élection du PE 2014

L’élection a marqué un progrès électoral important pour cette famille de partis, qui a remporté 12.981.378 voix (1.885.574) correspondant à 7,96% des suffrages exprimés (1,04%). Cela a pour corrélation une augmentation encore plus forte des membres de gauche radicale du Parlement européen (MPE), passant de 36 à 53, et de leur groupe parlementaire (Gauche unitaire européenne / gauche verte nordique – GUE / NGL). De 35 à 52 [2]
Du côté négatif, la gauche radicale a raté certains objectifs stratégiques. En termes de sièges, le groupe GUE / NGL n’a pas réalisé les attentes excessives de certains sondages d’opinion [3] et n’a pas atteint le statut de troisième force du Parlement européen. En termes de voix, sa croissance a été éclipsée par les gains beaucoup plus importants de partis eurosceptiques d’extrême droite.
1. Résultats électoraux : des gains importants mais inégaux
Le score global [4] des partis de la gauche radicale aux élections au Parlement européen en 2014 a atteint (7,96%), son zénith depuis la chute du socialisme existant, dépassant les sommets précédents de 1999 (7,59%) et 2009 (6,92%).
Les gains électoraux, cependant, ne sont pas répartis uniformément à travers le continent (voir Tableau 1). Dans quatorze pays, la gauche radicale a amélioré ses résultats, mais dans douze pays, elle a subi des pertes modérées ou lourdes. [5]

TABLEAU 1. RÉSULTATS DE LA GAUCHE RADICALE, 2009-2014

Voix 2009

Voix 2014

Evolution

% 2009

% 2014

Evolution

Allemagne

2 004 500

2 220 724

+216 224

7,61%

7,57%

-0,04%

Autriche

18 926

60 451

+128 046

0,66%

2,14%

+1,48%

Belgique

107 046

235 092

+128 046

1,63%

3,51%

+1,88%

Bulgarie

0

14 231

+ 14 231

0

0,64%

0,64%

Chypre

106 922

70 130

-36 792

34,90%

27,09%

-7,82%

Croatie

34 380

3,73%

Danemark

371 603

248 244

-123 359

16,38%

10,92%

-5,46%

Espagne

823 329

3 174 027

+2 350 698

5,27%

20,78%

+15,51%

Estonie

3 519

226

-3293

0,89%

0,07%

-0,82%

Finlande

109 948

167 006

+57 058

6,60%

9,66%

+3,06%

France

2 165 037

1 554 647

-610 390

12,57%

8,20%

-4,37%

Grèce

718 790

1 934 025

+1 215 235

14,02%

33,82%

+19,81%

Hongrie

27 817

0

-27 817

0,96%

0

-0,96%

Irlande

256 123

377 128

+121 005

14%

22,77%

+8,77%

Italie

2 162 215

1 108 457

– 1 053 758

7,06%

4,04%

-3,02%

Lettonie

0

6 817

+6817

0

1,55%

+1,55%

Lituanie

13 341

0

-13 341

2,43%

0

-2,43%

Luxembourg

9 740

14 773

+5 034

4,91%

7,25%

+2,34%

Malte

0

0

0

0

0

0

Pays-Bas

330 802

458 079

+127 277

7,26%

9,64%

+2,37%

Pologne

51 872

0

-51 872

0,70%

0

-0,70%

Portugal

810 571

636 833

-173 738

24,32%

20,96%

-3,36%

Roumanie

0

9 803

+9 803

0

0,18%

+0,18%

Rque Slovaque

13 643

10 827

-3 356

1,65%

1,83%

+0,18%

Slovénie

0

28 700

+28 700

0

7,14%

+7,14%

Suède

182 140

234 358

+52 218

5,75%

6,31%

+0,56%

Rque Tchèque

334 577

175 027

-159 550

14,18%

11,55%

-2,63%

Royaume Uni

463 344

207 933

-255 411

3,06%

1,26%

-1,80%

Total

11 085 805

12 981 378

+1 895 574

6,92%

7,96%

+1,03%

Suffrages Exprimés

160 105 511

163 109 024

+3 003 513

41,42%

41,17+

-0,24%

Les succès ont été spectaculaires dans plusieurs Etats de la périphérie. En Grèce, la gauche radicale a grimpé à 33,82% des suffrages exprimés (19,81%), devenant la plus grande famille du parti national. Ce résultat s’explique par les fortes hausses de Syriza (26,57%), qui a confirmé ses scores de l’élection nationale juin 2012 est passé devant les conservateurs comme premier parti grec. En Espagne, la gauche radicale a progressé à hauteur de 20,78% (15,51%) grâce à l’excellent début de la liste d’extrême gauche PODEMOS et à la forte hausse de Izquierda Unida et l’alliance de gauche régionaliste Los Pueblos Deciden. En Irlande, la division de l’extrême gauche trotskyste a conduit à la perte du siège du Parti socialiste, mais la montée de la gauche nationaliste Sinn Féin a poussé le score total de la gauche radicale à 22,77% (8,77%). En Slovénie, enfin, les manifestations anti-austérité de 2012-2013 ont provoqué l’émergence électorale d’une gauche radicale inexistante auparavant (Združena de levica et Solidarnost) qui a obtenu 7,14%, même si elle n’a pas réussi à obtenir une représentation parlementaire.
Mais ces gains dans les pays moyens-petits ont été partiellement effacés par une stagnation ou des résultats négatifs dans les grands États du centre. Les résultats dans trois pays ont été particulièrement négatifs : la France (8,20%, -4,37%), où le Front de Gauche a à peine augmenté et où le NPA d’extrême-gauche a pratiquement disparu ; l’Italie (4,04%, -3,02%), où la rencontre de l’ensemble du spectre gauche radicale et de plusieurs alliés extérieurs dans la coalition L’Altra Europa con Tsipras (AET) a permis d’atteindre son objectif principal – une nouvelle entrée dans le Parlement européen après cinq ans d’absence – mais a presque diminué de moitié leur capital électoral précédent ; et le Royaume-Uni (1,26%, -1,80%), où des groupes traditionnels d’extrême gauche ont à peine fait campagne et ont obtenu un piètre 0,29% des suffrages exprimés – le 0,97% restant a été remporté par l’Irlandais du Nord Sinn Féin. Il y a eu également de lourdes pertes dans les bastions de la gauche radicale de Chypre (27,09%, -7,82%), où l’AKEL communiste a payé le prix de la crise financière de 2012 à 2013, le Danemark (10,92%, -5,46%), où l’éco-socialiste SF n’a pas répété l’exploit de l’élection précédente, et le Portugal (20,96%, -3,36%), où la CDU et PCTP / PPRM ont quelque peu progressé mais où le BE a été réduit de plus de moitié.
Cette inégalité découle de l’interaction de deux tendances principales.
D’une part, les élections au Parlement européen restent clairement des élections de second ordre [6] dominées par les questions et les calculs nationaux. Les innovations marquées de la campagne 2014 – sélection par les principaux europartis de candidats en pointe pour le rôle de président de la Commission européenne ; débats télévisés entre les principaux candidats – semblent avoir eu un impact minime à cet égard, dans la mesure où les résultats de chaque famille de partis sont restés très homogènes et où la participation des électeurs est restée extrêmement faible [7] Le seul véritable élément de « l’européanisation » de cette élection peut être trouvé, paradoxalement, dans la progression des partis critiques de l’état actuel du projet d’intégration européenne : cette insatisfaction, cependant, a pris des formes très différentes dans chaque pays, au profit, cas par cas, de l’extrême droite (par exemple le français FN), des nationalistes de droite (par exemple l’UKIP britannique et la DF danois), de populistes inclassables (le M5S italien) et de la gauche radicale.
Par ailleurs, la polarisation croissante des États-nations européens sur les lignes macro-économiques (un centre riche et exportateur par rapport à une périphérie pauvre et en semi-faillite) s’est partiellement reflété dans le vote pour la gauche radicale. Alors que chez les permiers résultats ont en général été modestes, chez les derniers, la gauche radicale a souvent consolidé ses scores au-delà des 20% des votes exprimés, en forte croissance en Grèce, en Irlande et en Espagne et avec une audience importante à Chypre et au Portugal.
2. Représentation parlementaire : un groupe plus large mais peu hétérogène
La progression électorale décrite dans le paragraphe précédent s’est traduite par des gains très importants en députés européens (voir Tableau 2). Le nombre de sièges de la gauche radicale est passé de 36 (4,89%) à 53 (7,06%); Les sièges GUE / NGL sont passés de 35 (4,76%) à 52 (6,92%).

TABLEAU 2 Groupe parlementaire GUE/NGL 2009-2014

Sièges 2009

Sièges 2014

Allemagne

Die Linke (8)

Die Linke (7), Tierschutz (1)

Chypre

AKEL (2)

AKEL (2)

Danemark

Folkeb.(1)

Folkeb.(1)

Espagne

IU (1)

IU (5), Podemos (5), EH Bildu (1)

Finlande

VAS (1)

France

Front de Gauche (4), AOM (1)

Front de Gauche (3), AOM (1)

Grèce

KKE (2), SYRIZA (1)

SYRIZA (6)

Irlande

Sinn Féin (1)

Sinn Féin(3), Luke Flanagan (1)

Italie

AET-ind. (2), AET-PRC (1)

Lettonie

LSP (1)

Pays-Bas

SP (2)

SP (2), PvdD (1)

Portugal

BE (3), PCP (2)

PCP (3), BE (1)

Suède

V (1)

V (1)

Rque Tchèque

KSČM (4)

KSČM (3)

Royaume Uni

Sinn Féin (1)

Sinn Féin (1)

Gue-Ngl

35 / 736 (4.76%)

52 / 751 (6.92%)

Pays

13/27

14/28

Note : gras = membres du PGE ; italiques = alliés techniques

Le groupe parlementaire GUE / NGL a progressé grâce aux gains nets des membres existants (+3 députés), à l’affiliation de partis déjà représentés ou non représentés de la gauche radicale (13 députés) et à des accords techniques avec quelques autres parties non à gauche (+ 3 députés), tout en perdant deux députés en raison de la désaffiliation du KKE grec.

Malgré ces progrès, le groupe reste relativement sans influence au sein du Parlement européen. Sa taille globale n’a augmenté que de façon marginale, de la sixième à la cinquième position (au-dessus des Verts). De même, sa représentation géographique est passée de 13 à 14 pays (avec le retour de l’Italie et de la Finlande et la perte de la Lettonie) et ne couvre que la moitié des Etats membres de l’UE.
Le degré important d’hétérogénéité interne posera un défi supplémentaire. [8]
Une division importante sera celle entre partis affiliés au Parti de la gauche européenne (PGE) [9] (24 députés), d’autres organisations de la gauche radicale (25 députés) et les alliés techniques (3 députés). Le premier, créé en 2004, a toujours cherché à renforcer la gauche radicale dans les institutions de l’UE sur des lignes « modernistes » (atténuant leurs racines communistes) et « euro-constructives » (attaquant le principal objectif des politiques de l’UE, mais soutenir les progrès de l’intégration européenne) ; cela a souvent créé des tensions au sein du groupe GUE / NGL, qui conserve un caractère confédéral afin de tenir compte des grandes différences idéologiques et programmatiques entre ses partis membres. La dernière initiative du PGE, qui a choisi Alexis Tsipras (Syriza) comme candidat à la présidence de la Commission, a en effet suscité beaucoup de sympathie au sein de la GUE / NGL, mais en même temps risque d’aliéner les partis de gauche radicale plus radicaux et eurosceptiques – comme le montre la défection du KKE au profit des députés non-inscrits.
Une autre question clé est la faille transversale autour de la question de l’euroscepticisme, qui exige un équilibre délicat à la fois au sein du groupe et dans la plupart de chaque parti. [10] L’aggravation de la crise de l’euro a quelque peu aiguisé l’élaboration stratégique et le débat sur ​​la question, dans la mesure où les partisans d’une « Europe sociale » réformée sont de plus en plus affaiblis face aux partisans de l’affaiblissement de l’UE ou de la rupture avec elle, considérée comme étape nécessaire pour libérer leur pays des contraintes externes néo-libérales et à adopter des politiques macro-économiques nationales progressistes. Cette dernière position est soutenue par plusieurs partis communistes orthodoxes (KKE, PCP, AKEL), de la gauche radicale (V) et autres (Folkb.), ainsi que par des minorités internes dans d’autres partis. Ces forces, cependant, sont eux-mêmes divisées sur l’opportunité d’appeler explicitement à une sortie de la zone euro et l’UE, par opposition à une renégociation partielle des engagements existants.
3. Passé et présent
La trajectoire à long terme de la gauche radicale aux élections du Parlement européen est représentée dans le tableau 3. De la crise et du déclin électoral de la « vieille » gauche radicale dominée par le Parti communiste dans la décennie 1984-1994 (de 15,00% à 7,08%) a émergé une « nouvelle » gauche radicale reconfigurée, qui a depuis stagné autour de 7-8% du total des suffrages exprimés.

TABLEAU 3 Evolution historique 1979-2014

1979

1984

1989

1994

1999

2004

2009

2014

Suffrages exprimés

60,15%

56,93%

56,40%

54,43%

47,27%

43,75%

41,42%

41,17%

Votes

Gauche radicale %

14,80%

15%

11,48%

7,08%

7,59%

6,86%

6,92%

7,96%

N. Sièges

410

434

518

567

626

732

736

751

N. Sièges

gauche radicale

46

43

45

29

43

42

36

53

Sièges

gauche radicale %

11,22%

9,91%

8,69%

5,11%

6,87%

5,74%

4,89%

7,06%

N. Sièges GUE/NGL

44

41

42

28

42

41

35

52

Sièges GUE/NGL %

10,73%

9,45%

8,11%

4,94%

6,71%

5,60%

4,76%

6,92%

Pays GUE

3/9

4/10

7/12

5/12

10/15

14/25

13/27

14/28

Cette tendance a été déterminée par deux éléments principaux : croissance et déclin chez les membres existants de l’UE et effets des élargissements successifs de l’UE (voir tableau 4).
Chez les neuf Etats membres originaux la gauche radicale a rapidement diminué, de 1984 (14,93% des suffrages exprimés) à 1994 (4,25%), a repris lentement jusqu’en 2009 (6,74%), puis a de nouveau baissé en 2014 (5,14%). Le facteur déterminant a été ici la crise du communisme français et italien, qui n’a pas été suffisamment compensé par la progression des autres forces de la gauche radicale (par exemple le SP aux Pays-Bas ou le PDS / Die Linke en Allemagne de l’Ouest).
Les vagues d’élargissement de 1981-1995 ont introduit dans l’UE des territoires (notamment l’Allemagne de l’Est) avec des gauches radicales qui avaient mieux résisté à l’effondrement de l’Union soviétique et étaient en moyenne beaucoup plus fortes que leurs homologues. Les résultats électoraux de ce deuxième groupe ont un peu diminué de 1999 (12,29%) à 2009 (10,33%), mais rapidement grimpé en 2014 (19,30%). Bien que ne constituant qu’un tiers de la population du premier groupe de pays, ils ont contribué pour plus de la moitié de tous les votes de la gauche radicale.
Les vagues d’élargissement de 2004-2013, au contraire, ont vu l’adhésion de pays ayant des gauches radicales très faibles : ils n’ont totalisé en 2014 que 1,52% des suffrages exprimés. Dans l’ancien bloc de l’Est, l’effondrement du socialisme réellement existant a laissé beaucoup d’anciens partis communistes reconvertis avec succès au social-libéralisme, mais, à l’exception du parti néo-communiste tchèque KSCM, pratiquement aucune force de gauche radicale viable. Le seul gain positif a été Chypre, où l’AKEL communiste a réussi à préserver et même accroître son poids électoral considérable.

TABLEAU 4 Conséquences des trois vagues d’élargissement

1979

1999

2014

Membres de l’UE en 1979 (Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume Uni)

Electeurs inscrits

184 474 494

207 497 569

222 958 570

Suffrages exprimés %

60,15%

45,07%

45,64%

Votes Gauche radicale

16 425 278

5 052 995

5 233 556

Gauche radicale %

14,80%

5,40%

5,14%

Élargissement 1981-1995 (Grèce, Portugal, Espagne, Allemagne de l’Est & Berlin, Autriche, Finlande, Suède)

Electeurs inscrits

82 168 563

85 609 547

Suffrages exprimés %

52,83%

44,78%

Votes Gauche radicale

5 533 517

7 398 221

Gauche radicale %

12,29%

19,30%

Élargissement 2004-2013 (Chypre, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République slovaque, Slovénie, Bulgarie, Roumanie, Croatie)

Electeurs inscrits

87 605 149

Suffrages exprimés %

26,28%

Votes Gauche radicale

349 601

Gauche radicale %

1,52%

L’élection européenne de 2014 a clairement délimité une division de la gauche radicale européenne en trois grandes zones géo-politiques relativement homogènes.
Dans la partie la plus occidentale de l’Europe, la gauche radicale tend à être une famille de taille moyenne avec une représentation parlementaire et des scores électoraux entre 4% et 10%. Les exceptions négatives sont les partis extrêmement faibles du Royaume-Uni et d’Autriche; [11] La Belgique est légèrement en dessous de la moyenne, mais progresse rapidement ; Le Danemark constitue, au contraire, une exception plutôt positive. [12]
La Méditerranée et la périphérie de l’Atlantique est à l’avant-garde de l’influence actuelle et des perspectives d’avenir de la gauche radicale. Le mélange d’une crise socio-économique grave, des grandes mobilisations anti-austérité et de la présence d’organisations politiques bien ancrées de différents types, des communistes orthodoxes à la gauche réformiste et aux nationalistes de gauche, a hissé les scores électoraux bien au-dessus de 20% des suffrages exprimés : en commençant par Chypre, en 2009 au Portugal, en 2014 en Grèce, en Espagne et en Irlande.
Les régions de l’ancienne Europe de l’Est, enfin, ressemblent à un archipel de quelques bastions localisés – l’Allemagne de l’Est (19,74%) et la République tchèque (11,55%), rejointes récemment par la Slovénie (7,14%) – dans un océan d’absence presque complète.
4. Perspectives d’avenir
Le tableau comporte des opportunités et des dangers.
Au niveau des dynamiques institutionnelles de l’UE, il est peu probable que la gauche radicale marque significativement le cours futur des politiques de l’UE. Au sein du Parlement européen, les groupes du Parti populaire européen (PPE) et de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (S & D), en dépit de leurs pertes, jouissent encore d’une majorité parlementaire confortable (413 sièges sur 751) ; à l’inverse, une alliance de centre-gauche peu probable du S & D, des Verts et du GUE / NGL (294 sièges) est bien loin de la majorité requise. Au sein du Conseil, de même, l’influence de la gauche radicale restera probablement négligeable : sa participation passée à la tête d’un gouvernement national (Chypre, 2007-2013) et comme partenaire junior dans plusieurs autres cabinets est passée presque inaperçue. Même une fucture victoire électorale en Grèce aura probablement peu d’effet, en raison de la petite taille du pays et de l’expansion post-Lisbonne du vote à la majorité qualifiée.
Les choses sont toutefois différentes si l’on regarde l’évolution possible des situations politiques nationales.
Dans plusieurs pays du Sud et la périphérie celtique, la gauche radicale est sortie rapidement de sa marginalité antérieure et est maintenant face à une occasion historique de s’imposer comme la plus grande famille de parti et de devenir le premier partenaire de coalitions gouvernementales. En Grèce, Syriza est en position gagner les prochaines élections générales et, si le mélange crise-austérité actuel se poursuit, il n’est pas davantage inconcevable d’envisager un nouvel effondrement des partis au pouvoir existants et des performances similaires de la gauche radicale dans des pays comme Chypre, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal.
À l’heure actuelle, les partis de la gauche radicale semblent bien peu préparés à cette éventualité. Les divisions partisanes entravent fortement la création de fronts unis efficaces à la fois pour l’opposition présente et pour une future majorité gouvernementale. Le problème épineux des rapports avec la gauche sociale-libérale continue à diviser et risque d’arracher la défaite aux mâchoires de la victoire, confinant les forces les plus intransigeantes dans un splendide isolement et les plus conciliantes à un rôle subalterne au sein d’alliances de centre-gauche. Enfin, les plans d’urgence sérieux pour un possible éclatement de la zone euro (et peut-être de l’Union européenne) restent limités à quelques universitaires et militants. [13] Si ce scénario se matérialisait, la gauche radicale risquerait donc de manquer sa chance et de se retrouver à laisser le terrain libre à des solutions néo-conservatrices ou d’extrême droite.
Dans le reste de l’Europe occidentale, la gauche radicale a besoin de retrouver le chemin de la croissance d’avant 2009 et d’acquérir une capacité à exercer une attraction vers la gauche efficace au sein de chaque système politique national. Les partis des pays les plus grands et les plus influents (Allemagne, France et Italie) portent ici une responsabilité cruciale pour les résultats nationaux et de l’UE. Leur stagnation ou baisse actuelles, produites par des contraintes structurelles et les erreurs du passé, exclut toute possibilité d’évolution progressiste des politiques de l’UE.
En Europe de l’Est, le grand défi se trouve dans l’absence presque totale de forces de gauche radicale viables. Cet état de fait menace de maintenir la gauche radicale en position de marginalité permanente au sein de l’Union européenne, en particulier si les niveaux d’abstention commençaient à converger [14] ou si les pays méditerranéens commençaient à quitter l’Union. Les développements récents en Slovénie sont encourageants, mais dans la plupart des autres pays de l’Est les embryons d’alternatives sont retombés ou n’ont même pas pris la peine de se présenter. L’émergence de forces de la gauche radicale nationales qui, tout en travaillant de façon critique sur les échecs du socialisme réellement existant, sont en mesure de s’articuler avec le profond mécontentement populaire avec les régimes post-transition et la crise économique actuelle est donc vital. Les partis les plus importants de l’Union doivent donc faire du soutien – politique et financier – à ce processus leur priorité internationale.

Notes

[1] Toutes les données proviennent de source nationale officielle (généralement le ministère de l’Intérieur) ; les résultats sont encore provisoires dans quelques pays.
[2] Les deux catégories ne se recoupent pas entièrement. D’une part, quelques partis rouge-vert (par exemple la SF danois) ou de gauche radicale régionalistes (par exemple en Espagne), ainsi que la plupart des députés écologistes élus au sein de coalitions de gauche radicale (par exemple la Catalogne ICV), ont souvent choisi de siéger avec le groupe des Verts. D’autre part, d’autres types de partis ont parfois rejoint le groupe GUE / NGL pour des raisons techniques (en 2014, la coalition eurosceptique danoise, les défenseurs des animaux allemands et néerlandais et un indépendant irlandais).
[3] Cunningham, K., Hix, S. (2014) « Socialist marginally ahead, radical left up to third », le 5 mars 2014, http://www.electio2014.eu/it/pollsandscenarios/pollsblog
[4] Il s’agit du total des votes de la gauche radicale, divisé par le total des suffrages exprimés dans les pays de l’UE. L’utilisation de données agrégées (ou pondérés) est préférable à celle de simples moyennes non pondérées des résultats nationaux, dans la mesure où ceux-ci ont tendance à fausser la taille globale des familles de partis.
[5] À Malte, la gauche radicale était absente les deux fois, la Croatie n’était pas encore membre en 2009 (mais la gauche radicale a perdu beaucoup par rapport à l’élection au Parlement Européen de 2012).
[6] Reif, K., Schmitt, H. (1980) « Nine second-order national elections – a conceptual framework of European election results », European Journal of Political Research, 8(1), 3-44.
[7] La part globale des suffrages exprimés sur les votes enregistrés a encore diminué – légèrement – de 41,42% à 41,17%. Plus inquiétant encore, cette part est inférieure à 35% dans la plupart des États d’Europe de l’Est (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Hongrie, Lettonie, Pologne, Roumanie, République slovaque, Slovénie) et dans quelques pays d’Europe occidentale (Portugal, Royaume-Uni), remettant en question la légitimité démocratique du Parlement européen.
[8] L’organisation VoteWatch Europe (http://www.votewatch.eu/), par exemple, souligne que le taux de cohésion des votes du groupe GUE / NGL au précédent Parlement était le plus faible de tous les groupes, hormis l’EFD (79.37 %). Ce taux est susceptible de baisser encore dans la prochaine législature.
[9] Voir Dunphy, R., Mars, L. (2013) « Seven year itch? The European Left Party: struggling to transform the EU », Perspectives on European Politics and Society, 14:4, 520-534.
[10] Voir Dunphy, R. (2004) Contesting capitalism? Left parties and European integration. Manchester: Manchester University Press, and Charalambous, G. (2011) “All the shades of red: examining the radical left’s Euroscepticism”, Contemporary Politics, 17(3), 299-320.
[11] La gauche radicale du Luxembourg n’a pas obtenu de représentation en raison de la petite taille du contingent national (6 députés), mais a recueilli un bon 7,25% des suffrages exprimés.
[12] Le chiffre retenu est celui de la SF (gauche radicale mais affiliée au groupe vert), avec 10,92% des suffrages exprimés ; en outre, le mouvement Eurosceptic Folkb. (contre-parti, mais surtout soutenu par le E d’extrême gauche, affilié au GUE / NGL) a recueilli 8,07% des suffrages exprimés.
[13] Voir Lapavitsas, C. et al. (2012) Crisis in the Eurozone. London: Verso; Sapir, J. (2012) Faut-il sortir de l’euro? Paris: Seuil; Bagnai, A. (2012) Il tramonto dell Euro. Reggio Emilia: Imprimatur; Mateo, J.P, Montero, A. (2012) Las finanzas y la crisis del euro: colapso de la Eurozona. Madrid: Editorial Popular; Ferreira do Amaral, J. (2013) Porque devemos sair do Euro. Alfragide: Lua de Papel; Durand, C., ed. (2013) En finir avec l’Europe. Paris: La Fabrique; Lordon, F. (2014) La malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique. Paris: LLL.
[14] La part des suffrages exprimés dans l’ex-Europe de l’Est est nettement inférieure au niveau de l’ensemble de l’UE (2014: 28,77% à 41,17%).