Le mouvement syndical français confronté à la loi travail et à un mouvement citoyen sur le travail

Une loi pour la compétitivité et le dumping social

Le projet de loi ressemble à grand traits aux différentes versions qui se sont appliquées dans d’autres pays européens du sud en particulier : facilitation des licenciements individuels et collectifs, économiques ou non ; affaiblissement des conventions collectives et du Code du travail à la faveur d’accords d’entreprises dérogatoires en particulier sur le temps de travail et en retour sur les salaires. Le tout a lieu dans un contexte de chômage toujours très élevé et où la croissance attendue est pour l’essentiel due à la baisse du prix du pétrole et à celle de l’euro. D’autres éléments sont en négociation en parallèle en particulier le régime de l’assurance chômage pour lequel le gouvernement a rouvert la piste d’indemnisations dégressives. Là aussi pas de surprise, de telles réformes existent ailleurs.

Un mouvement syndical fragmenté

Si au départ, des réactions communes ont été possible, le mouvement syndical s’est vite retrouvé coupé en deux1 dans la configuration qui est la sienne depuis déjà quelques années. Au moins ce démarrage aura permis que le discours syndical sur les questions complexes du Code du travail trouve une oreille attentive parmi les salarié-es et la jeunesse. L’objet essentiel de ces divisions repose sur l’espérance de la partie la plus modérée du mouvement syndical (dit d’accompagnement aux réformes) d’être en capacité de signer des accords d’entreprise dans un contexte où la forte division empêche souvent aux majorités de se constituer. Face aux enjeux sur le Code du travail, de nouvelles fractures sont apparues notamment dans des équipes de la CFDT qui sont toujours présentes dans les manifestations.

Un démarrage au quart de tour par… une pétition en marge des syndicats

La pétition contre la loi travail a recueilli plus d’un million de signatures en quelques jours. Elle a crédibilisé les syndicats les plus opposés et ceux-ci en retour, ont eu l’intelligence de se ne pas considérer que la loi travail était une matière uniquement syndicale et de salarié-es. On a donc assisté à la constitution d’un front global large incluant des syndicats, des activistes sur internet, et des personnes en marge du parti socialiste et des militant-es associatifs. Ce démarrage particulier a permis la mobilisation de couches très importantes de jeunes en particulier, étudiant-es, lycéen-nes mais aussi jeunes salarié-es précaires ou au chômage, salarié-es dans de petites entreprises, dont certains et certaines avaient connu leurs premières manifestations il y a dix ans lors du mouvement qui avait permis le rejet du contrat première embauche, projet de contrat à bas coût pour les jeunes. Tous ces jeunes, peu touchés par les syndicats sont venus gonfler les manifestations dès le début mars. Ce sont eux et elles aussi qui sont les activistes des « Nuit debout », cocktail issu de la volonté d’artistes intermittent-es, de militant-es syndicaux de base, de journalistes non professionnel-les, et d’un film « merci patron », sorte d’ode jubilatoire à la lutte des classes.

Quelle place pour le mouvement syndical dans un tel contexte

Les syndicats opposés à la loi travail ont maintenu leur front commun, en dépit des manœuvres gouvernementales qui pour l’essentiel ont visé la contestation lycéenne et étudiante. Des concessions substancielles ont été faites aux jeunes mais elles ne touchent pas le cœur de la loi travail. Toute la difficulté actuelle pour le mouvement syndical est sa capacité ou non à remobiliser sa base, ses équipes militantes et plus largement les salarié-es alors que personne ne comptait sur un mouvement interprofessionnel il y a encore quelques mois. A l’exception notable de secteurs du commerce contre le travail du dimanche , du conflit symbolique à Air France, conflits qui ont un rapport direct avec les enjeux actuels, l’actualité sociale était dominée par des mouvements dans l’agriculture ou chez les taxis.
Ainsi, on est confronté en même temps à l’existence majoritaire dans l’opinion publique d’un refus de la loi travail et à une difficulté à mobiliser très massivement les salarié-es par un mouvement de grève pour porter un coup fatal à la loi. Les gros bastions des syndicats dans le secteur public sont là mais pas très mobilisés car la  réforme  ne s’applique pas à eux directement et les syndicats du privé se lancent réellement mais avec bien du retard à rattraper. Les cortèges d’entreprise ont été nombreux dans les manifestations mais ce n’est qu’un début.

Une résistance en forme de toile

Plus qu’un fil conducteur tiré uniquement par l’intersyndicale, ou un secteur professionnel dont la grève permettrait de montrer la permanence du mouvement, on a aujourd’hui une continuité de résistance qui s’inscrit dans des mouvements multiples. L’intersyndicale donne des rendez vous en appelant à la grève interpofessionnelle, des journées de manifestation étudiantes et lycéennes s’ajoutent à ce dispositif, certains secteurs discutent de la meilleure combinaison de leurs propres enjeux (discussion de la convention collective du rail) et de leur insertion dans ce mouvement par une grève prolongée, et les Nuit debout assurent une visibilité au mouvement à Paris mais aussi dans certaines villes de la banlieue et dans de nombreuses villes en région. Si ces Nuit debout traitent de questions globales qui touchent à la démocratie et à la transformation sociale, leur naissance dans le mouvement d’opposition à la loi travail en font aussi un carrefour d’échange, d’encouragement, de convergence pour les luttes. Une telle situation, combinée aux difficultés institutionnelles d’un gouvernement profondément minoritaire dans le pays laisse ouverte la possibilité d’une victoire. Elle montre aussi l’arrivée d’une nouvelle génération sur la scène politique et sociale, promesse d’engagements à venir, de forces nouvelles aussi pour le mouvement syndical si celui-ci sait lutter avec ces nouvelles générations en prenant en compte leurs demandes et leur autonomie de réflexion et d’action.
Note 

  1. Le mouvement syndical regroupe d’un côté la CFDT, la CFTC, la CGC, L’UNSA et de l’autre la CGT, la FSU, FO et Solidaires.