Automne noir pour la gauche tchèque

Le 20 et 21 octobre dernier ce sont tenues les élections législatives en République Tchèque. Le mouvement populiste ANO 2011 a remporté la majorité des suffrages fort de ses stratégies marketing dont il a usé pendant la campagne. La gauche tchèque suit elle la tendance européenne et connaît une forte baisse.

ANO 2011 s’impose clairement. C’est un mouvement politique qui a émergé de l’ancien mouvement « Action des Citoyens Insatisfaits » ; « Ano » signifie « oui » en tchèque. Ce mouvement se présente lui même comme du centre ou centre-droit et est membre de l’ALDE(L’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe)au parlement européen. 

ODS, le Parti Démocratique Civique arrive en seconde place. C’est un parti de droite traditionnel, conservateur et eurosceptique. Il est suivi de près par les Pirates (version tchèque des partis pirates présents en Europe occidentale, mais de tendance plus droitière et anticommuniste). C’est un parti sans buts politiques clairement définis qui d’habitude ne se présentait qu’au niveau régional et municipal. Le SPD (Liberté et Démocratie Direct) a presque recueilli autant de suffrages que les pirates. Le Parti est issu d’une scission du USVIT, parti qui était représenté au Parlement de 2013 à 2017.

Deux autres partis ont réussi à atteindre les 5% nécessaire pour accéder à la représentation parlementaire : TOP 09, un parti de droite pro-européen et STAN (maires et indépendants), un mouvement politique qui avait débuté comme association de terrain à l’échelle municipale et ensuite est devenu actif sur le plan national. Il est membre du group du PPE au parlement européen. Ces deux partis qui s’étaient précédemment présentés ensemble aux élections et avaient acquis 26 sièges se sont présentés séparément cette fois-ci. Les Verts n’ont atteint qu’1,46% des voix et ne seront donc pas représentés au parlement. La participation s’est élevée à 60,84%, une petite augmentation par rapport aux élections de 2013 (58,48%).

Une analyse initiale de l’élection 

Les élections ont confirmé que les partis de la gauche tchèque (modérés comme radicaux) suivent la tendance européenne bien qu’avec un petit décalage dans le temps. Cette tendance ne s’exprime pas que comme une baisse des résultats électoraux mais plus largement dans un changement de perception de la gauche chez les électeurs.

Sur la scène politique tchèque, il y a deux partis de gauche : les Sociaux-Démocrates et le Parti Communiste. Les deux partis existent depuis relativement longtemps. Hormis le fait de se reposer sur leurs soutiens principaux, les deux partis parviennent à atteindre un large électorat malgré une affiliation à ces partis très faible, voire inexistante.

La différence entre les deux réside dans le fait que les sociaux-démocrates sont un parti réformiste traditionnel travaillant à un « capitalisme amélioré », un concept conçu par le public comme un « Etat-Providence ». Les politologues définissent quant à lui le Parti Communiste comme un parti antisystème qui entend transformer l’ordre politique avec l’objectif stratégique de mettre en place le socialisme (bien que sans en donner une véritable définition). Dans ses publications et discours, le Parti Communiste insiste sur le fait que tout changement systémique social soit basé sur un processus démocratique de décisions des citoyens. En République Tchèque, les Verts ne sont pas généralement associés à la gauche. Quant on analyse ses valeurs, il se rapproche pour autant plus d’une vision de gauche de la société et du monde. Cependant, dans sa participation aux coalitions gouvernementales de 2006 à 2008, il s’est positionné plutôt en adoptant des décisions de droite ou centriste.

L’euroscepticisme tchèque

La société tchèque peut être considérée comme plutôt eurosceptique. Si 65% de la population considère l’intégration à l’UE comme positive sur le plan de la défense, seul 38% considère que c’est également le cas sur le plan politique. Au contraire, 69% des Tchèques partagent l’idée que la gouvernance européenne ne va pas dans le sens de l’intérêt de leur pays. Ainsi, il n’est pas étonnant que même les partis de droite, ou se déclarant comme tel,  ont tendance à être les chefs de file de l’euroscepticisme ou du moins se distancent d’insister sur la nécessité du processus d’intégration européen. Par exemple, le Parti Communiste a tenté depuis bien longtemps d’initier un référendum sur l’appartenance à l’UE du pays, et continue de demander le départ de l’OTAN. Les études sociologiques démontrent pour autant que ces questions géopolitiques cruciales n’ont pas de soutien substantiel de l’opinion (plus encore, l’appartenance à l’OTAN est vue comme plutôt positive par la population).

Au total, 31 partis et mouvements ont participé aux élections de cette année et seuls deux peuvent être classés à gauche selon les critères habituels, ces derniers ont été mentionnés plus haut. Un nouveau record a été atteint avec neufs partis ou mouvements qui feront leur entrée au parlement. L’âge de l’électorat a changé. Les premières enquêtes montrent que la jeunesse et la génération d’âge moyen ont plus participé que précédemment. 

La part d’électeurs de gauche ne cesse de baisser.

En analysant les résultats électoraux des communistes et sociaux-démocrates tchèques, deux types de votants peuvent être distingués. Le premier groupe est composé des « votants par conviction ». Le second comprend les votants qui expriment leur mécontentement ou leur désaccord avec différents aspects de la vie sociale ou économique, en votant à gauche. Des études sociologiques suggèrent que l’auto-positionnement à droite ou à gauche sur le spectre politique tend à décliner sur le long terme. La part de votants s’identifiant à la gauche radicale s’élève difficilement à 7.5%, à la gauche modérée 11,2% et au centre gauche 8,2%. 35,4% des votants ont choisi divers partis de droite et 20% le centre droit. 27,4% se considèrent comme centristes et 10,3% comme « n’ayant pas de préférences » (données milieu année 2017). Les analyses de long terme montre que la part d’électeurs de gauche ne cesse de baisser. En 2012-2013 ils constituaient plus de 40% de l’électorat comparé au maigre 27% de cette année. Les électeurs s’associant eux à la droite n’ont pas changé ces trois dernières années mais le centre a grandi de façon significative.

La « nouvelle gauche » et les Pirates

Les deux partis de gauche ont souffert de la disparition de leurs idées conceptuelles. Un citoyen ordinaire trouve difficile d’identifier la nature de gauche des actions ou agissements des élus des partis dans les différentes structures étatiques (échelle régionale et municipale, etc) malgré la rhétorique de gauche qui leur est associée. Les autres groupes de gauche, faisant partie de la soi-disant « nouvelle gauche », n’ont même pas tenté de participer à l’élection. Elle se compose d’un amas d’intellectuels issus de la classe moyenne (principalement urbaine) qui n’a pas de structure organisationnelle forte. Leur réseau et les actions ponctuelles qu’ils organisent ne sont pas assez satisfaisant pour en faire des compétiteurs sérieux dans l’élection. Dans ce contexte, la situation du Parti Pirate est intéressante à mentionner. M. Vrba, un journaliste tchèque décrivait plutôt bien leur actuel succès phénoménal : « (Les Pirates)… représentent une révolte post-idéologique qui n’impliquent pas un changement du contenu de la politique mais plutôt de sa forme ». Les Pirates sont parvenus à rassembler de nombreux suffrages chez les jeunes, principalement dans les villes et là où précisément, la « nouvelle gauche » trouve ses fondations.

Le public a-t-il succombé aux stratégies marketing ?

Le cœur de l’électorat de gauche (et particulièrement du Parti Communiste) est la vieille génération, tous ceux qui suffoquent du fait du système néolibéral actuel et qui ressentent vivement ses effets dévastateurs.

Cependant, une chose semble claire : les citoyens tchèques ont exprimé leur réticence à voter pour les vieilles pratiques des partis traditionnels. La question est plutôt de savoir s’ils ont succombé aux stratégie des marketing des nouveaux acteurs, notamment l’ANO. Le public perçoit également les autorités judiciaires et de police comme non digne de confiance. Cela explique comment après que des charges pour détournement de fonds (européens) soient retenues par la police contre deux figures de l’ANO, cela n’a pas provoqué une baisse du résultat du parti mais au contraire l’a favorisé. Une part significative de la population pense que des pratiques similaires de la part des partis en place (y compris des sociaux-démocrates) n’ont pas réveillé l’attention des autorités judiciaires et de police.

Le très bon résultat du SPD peut être attribué non seulement à son « nationalisme » et son discours axé contre les migrants et l’islam mais également au fait qu’il ait insisté sur des solutions fortes, du moins formellement, qui donnerait aux citoyens l’opportunité d’intervenir dans les affaires (référendum, etc).  

Perspectives 

Le premier choc est passé et la gauche commence à repenser à la suite. Certains partis de droite ont aussi perdu nombre de leurs soutiens, et se questionnent sur leurs propres perspectives. Les dirigeants de nombreux partis ont déjà déclaré leur démission de leur fonctions et positions à la tête de ceux-ci. Il s’avère qu’une des leçons de la crise passée et de l’émergent changement social est que le capitalisme mondialisé s’en est sorti renforcé. Quand certaines forces espéraient utiliser le développement de la crise pour mettre en place certains de leurs objectifs, elles étaient eux même enfoncées dans une crise dont elles essayent aujourd’hui de se sortir. 

Résultats des élections en détails

Parti ou mouvement

Résultat en % (2017)

Sièges au parlement/changement (2013–17)

ANO 2011

29,64 %

78/+31

ODS

11,32 %

25/+9

Pirates

10,79 %

22/+22

SPD

10,64 %

22

CPBM

 7,76 %

15/-18

CSSD – Social democrats

 7,27 %

 15/-35

KDU-CSL – Christian democrats

 5,81 %

10

TOP 09

 5,31 %

 7

STAN

 5,18 %

 6