« La Bulgarie n’a pas encore atteint le fond »



Comment commenteriez-vous le résultat des élections ?

Les résultats de l’élection ne sont une grande surprise pour personne. Comme certains commentateurs politiques, dont je suis, l’ont prédit dès le mois de février 2013, le gouvernement de Boyko Borissov et du GERB (Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie, centre droit) a démissionné avec l’idée d’assurer sa réélection. Il a démissionné après plusieurs jours de violentes manifestations provoquées par une augmentation du prix de l’électricité, marquées par l’auto-immolation de sept Bulgares au cours de l’hiver 2013 (ce chiffre a doublé depuis), et beaucoup plus de victimes en raison de l’endettement et du désespoir pour une partie croissante de la population. À l’époque, M. Borissov a sauvé sa carrière politique. Il n’a pas voulu faire de réformes mal perçues par les capitalistes locaux et transnationaux bénéficiant de l’augmentation des tarifs de l’électricité, sans pour autant vouloir se rendre impopulaire au sein de la population. Le gouvernement qui est arrivé au pouvoir à la suite de cette démission a dû payer le prix des réformes néolibérales de Borissov et de son gouvernement qui ont privatisé les industries, les services et la terre agricole, réduit les dépenses sociales afin de stimuler la croissance économique, et poussé plus d’un million Bulgares à émigrer pour trouver du travail en Europe et au-delà. Le gouvernement du Parti socialiste bulgare (BSP), dirigé par Plamen Oresharski, a été considéré par certains comme une opportunité pour le BSP de revenir à ses principes sociaux-démocrates. En fait, avec le choix du financier libéral Plamen Oresharski à la tête du gouvernement, le BSP a montré encore une fois qu’il n’était même pas modérément social-démocrate. Ses concessions aux grandes entreprises et ses nominations problématiques sont devenues flagrantes pendant le gouvernement de la « Triple coalition" dirigé par le BSP et Sergey Stanishev (2005-2009). Elles ont été confirmées dès les premières semaines du gouvernement Oresharski, provoquant une large vague de protestation. Pourtant, alors que les protestations ont continué pendant plus d’un an, avec un point culminant de 50 000 personnes défilant dans les rues de Sofia, les voix qui se sont élevées étaient celles des libéraux résidant à Sofia, relativement aisés et de droite, qui ont repris les anciens refrains des années 1990 pour le droit, l’ordre et le capitalisme de libre marché. Ces voix n’ont jamais eu d’échos importants dans le reste de la population, pour qui les questions de pain et de beurre pour la survie quotidienne au milieu de la récession rampante sont restées une priorité urgente, à laquelle ni les partis existants, ni les acteurs politiques extra-parlementaires impliqués dans des manifestations n’ont répondu. Ainsi, ce ne sont pas les mois de protestation qui ont mis fin au gouvernement Oresharski, mais les résultats des élections européennes, le deuxième parti de la coalition au pouvoir – le Mouvement pour les droits et libertés (DPS), représentant la minorité turque – ayant obtenu un résultat trop proche de celui du BSP. Ce qui lui a donné une nouvelle assurance. La mise en faillite d’une des plus grandes banques en Bulgarie a aussi conduit à la tenue de nouvelles élections. Compte tenu de la scission névrotique de la coalition au pouvoir, et du BSP lui-même, celui-ci n’a pu s’appuyer sur la difficulté de la droite libérale à s’unir autour du Bloc des réformateurs, et des regroupements de dernière heure dans l’extrême droite. Le retour de Boyko Borissov et du GERB a été dynamisé par tous ces processus. Il était à la fois prévisible et alarmant. Il a non seulement montré l’incapacité des manifestations de rue d’engendrer de nouveaux partis politiques. Ils n’ont pas réussi non plus à formuler une nouvelle façon de penser la politique ou de nouvelles exigences pour les vieux partis politiques pour approfondir le processus démocratique et proposer un nouveau contrat social. Et comme jusqu’à présent aucun gouvernement ou parti n’a pu rester au pouvoir pendant deux mandats consécutifs, le retour du GERB n’est pas un «moindre mal». Il est juste un signe de désespoir, de vide de l’imagination politique, que vingt cinq ans de capitalisme néolibéral dur ont généré, et un avertissement triste que la Bulgarie n’a pas encore touché le fond. Les heures difficiles sont encore devant nous.

GERB n’a pas réussi à former un gouvernement. Quels sont les scénarios prévisibles ?

Les résultats de l’élection générale du 5 octobre en Bulgarie : 

​​source : la Commission électorale centrale de Bulgarie.



Au cours de la campagne électorale la victoire de GERB apparaissait clairement, mais il était clair aussi qu’il n’aurait pas la majorité. Cela les a conduits à mener des discussions avec des partis de droite. Ces discussions semblaient sans exception mener nulle part car il y avait beaucoup de chantage et de tentatives du GERB de diviser les composantes dans d’autres coalitions et partis. Ce qui n’était pas prévu, c’est que huit parties allaient entrer au parlement, et cinq d’entre eux avec des résultats entre 4-9%. Ainsi, avec ses quelque 33%, GERB avait besoin non pas seulement de s’allier à un mais à deux partis pour gouverner avec une majorité au Parlement. Une coalition qui aurait eu un certain sens – mais pas nécessairement 50% des députés – auraient dû réunir GERB et le Bloc des réformateurs (RB). RB est une coalition de plusieurs partis de droite plus ou moins libéraux et très anti-communiste et anti-BSP, soutenu par des personnes des grandes villes, instruites, libérales de droite, comme celles qui protestaient contre le gouvernement de Oresharski. Pourtant, certains dirigeants de RB et la plupart de ses électeurs, ont été ignorés par Borissov et le GERB. Ainsi, le RB demandé au GERB de ne pas désigner Boyko Borissov comme premier ministre : une condition qui a fait échouer les négociations de coalition. Qui plus est, pour atteindre 50%, le GERB (32,7%) et le RB (8,9%) auraient eu besoin d’un troisième partenaire. Seul le Bloc patriotique (PB), d’extrême-droite, dirigé par le Front national du salut bulgare (CSNF) avait la possibilité de les rejoindre avec ses 7,3%. Mais, pour former le Bloc patriotique, le CSNF a rejoint VMRO-DPMNE, parti d’extrême-droite, irrédentiste, tenant de la suprématie blanche, qui s’est appuyé sur une rhétorique et des campagnes anti-Roms, anti-Turcs, anti-réfugiés, rendant une coalition difficile, en particulier sous le regard européen. Heureusement, les votes des deux partis d’extrême droite Ataka et CSNF ne leur permettent pas d’atteindre les nécessaires 17% pour compléter les voix du GERB. Ainsi, ce qui semble la solution la plus probable à l’heure actuelle est un gouvernement minoritaire de GERB, ce qui avait été le cas lors de leur dernier mandat. DPS et CSNF semblent être les possibles "partisans tacites» de ce gouvernement. Il peut sembler très paradoxal de voir un parti représentant une minorité ethnique participer à un gouvernement soutenu par un parti faisant ouvertement campagne contre cette minorité, mais cela est déjà arrivé au sein du gouvernement Oresharski où Volen Siderov de Ataka a permis d’obtenir le quorum de la coalition minoritaire au Parlement. Une solution encore plus cynique à l’heure actuelle – elle a été évoqué par des pince-sans-rire du GERB – serait une coalition entre le GERB et BSP. Cela pourrait être un suicide politique soit pour le BSP soit pour le GERB, mais le fait qu’on en discute comme d’une proposition viable pourrait également témoigner de l’arrogance et du sentiment d »impunité des deux partis. Cette coalition ne serait pas une contradiction dans les termes : GERB et BSP défendent en effet les mêmes positions de droite, capitalistes et néolibérales, et représentent divers groupes de pression au sein de la même élite politico-affairiste. Leur coalition serait aussi à peu près en ligne avec les développements sur le plan politique international où la différence entre centre-droit et les social-démocrate est devenue négligeable et leurs coalitions ont été considérées comme des solutions viables, par exemple dans l’Allemagne d’Angela Merkel. Dans les années 1990 et au début des années 2000, nous avons pensé que la confusion entre gauche et droite en Europe de l’Est était une anomalie – avec les partis de gauche défendant le grand capital, et ceux de droite soutenant certaines politiques sociales-démocrates modérées, les uns et les autres faisant des réformes basées sur le marché libre. Ce qui s’est passé dans l’intervalle, c’est que l’Europe de l’Est n’a pas progressé vers les catégories classiques de gauche et de droite. Au contraire, la politique de l’Ouest s’est rapprochée de celle de l’Europe de l’Est où les partis de gauche et de droite soutenant un ensemble similaire de politiques, et où des alternatives politiques peuvent seulement être trouvées chez de formations politiques plus radicales et dans les mouvements de rue.

En deux ans, il y a eu 5 élections. Que dire de la situation politique ?

Une remarque : depuis 1989 seuls trois des quatorze ont terminé leur mandat. Maintenant, aussi mauvais que cela soit pour la stabilité politique, c’est une ironie triste que de constater que ces trois gouvernements (Ivan Kostov 1997-2001, Siméon Sakskoburgotski 2001-2005 et Sergey Stanishev 2005-2009) ont réussi à causer le plus de tort au pays. Ils ont tous suivi des politiques de privatisation rampante des industries, des terres et des réserves agricoles, des services, au bénéfice de l’élite politique et économique, une politique pro-OTAN agressive et pro-UE au profit des forces de la mondialisation et des sociétés capitalistes mondiales et locales, sur fond de corruption flagrante et de crime organisé incontrôlé.   Ces réformes unidirectionnelles, faites sous la rhétorique "il n’y a pas d’autre choix que le capitalisme", ont dégradé la vie et le bien-être des Bulgares de base. Le dernier gouvernement Boyko Borissov (2009-2013), qui a manqué de six mois un mandat complet, a en gros suivi la plupart de ces orientations. Le  gouvernement BSP d’Oresharski et le gouvernement provisoire qui ont suivi n’ont pas semblé pouvoir offrir autre chose. Malheureusement, l’utilisation de la rotation pour éviter la concentration du pouvoir entre les mains d’une seule et même élite ne fonctionne pas non plus en Bulgarie. Avec ou sans une rotation rapide des partis au pouvoir, ce sont plus ou moins les mêmes personnes qui ont bénéficié des réformes du gouvernement depuis 2001. Le cas le plus évident : Deljan Peevski, le notoire magnat des médias, ancien privatiseur du port de Varna, dont la nomination en tant que chef de l’Agence d’Etat de la sécurité nationale a déclenché la longue vague de protestations en 2013, est sorti de cette situation plus riche et plus puissant. Non seulement il est resté un député de DPS, et un des acteurs principaux du secteur privé des médias et de l’industrie du tabac privatisée. Il a également été le bénéficiaire présumé de crédits accordés par la grande banque bulgare Banque coopérative du commerce (KTB), rapidement en faillite. Sa récente acquisition de l’entreprise d’imprimerie privatisée, qui fait de lui le propriétaire des deux plus grandes imprimeries dans le pays a encore consolidé son pouvoir, montrant que tout va bien en Bulgarie. 


Qu’en est-il des partis de gauche ? Nous avons vu que le Parti communiste s’était allié avec le Parti socialiste (BSP) ? Pourquoi cela ? Qu’en est-il de la Gauche bulgare (Bulgarskata levitsa) ? Nous voyons aussi que les idées de la gauche sont en progrès en Europe. Est-ce que le peuple bulgare est toujours sceptique envers la gauche en raison de l’expérience des décennies précédentes ?  Quel est le rôle des mouvements sociaux ?

La gauche est sortie plus faible plutôt que plus forte de la crise politique et de la récession économique. Et ici nous devons faire attention: la crise économique de 2008 n’a pas eu un impact profond et immédiat sur la Bulgarie où la croissance économique affirmée et une diminution de la dette publique se sont faites au prix de l’austérité et d’une diminution des dépenses sociales, de la déréglementation financière, d’emprunts contractés auprès des institutions financières internationales, de la privatisation et du démantèlement effectif de l’industrie et de la libéralisation des politiques agricoles. Malgré cela, une baisse du PIB par habitant et l’augmentation du chômage ont été réelles depuis 2008, mais cela n’a pas suscité une alternative de gauche significative. La faiblesse de la gauche en Bulgarie est due à une combinaison de raisons: le discrédit des anciens partis sociaux-BSP socialistes / démocratiques en raison de sa mise en œuvre des politiques néolibérales et de servir de l’ancienne nomenklatura et nouvelles élites d’affaires, l’adoption par le droit de la souris extrême de la rhétorique anti-néolibérale populiste, et la difficulté supplémentaire d’avoir à exprimer des idées de gauche dans un environnement extrêmement anti-communiste. Le BSP a conservé l’étiquette «de gauche» et en a fait sa propre marque. Des partis comme le Parti communiste bulgare se sont opposés au BSP, mais à travers un discours crypto-nostalgique, nationaliste de façon alarmante et profondément non critique envers le socialisme d’État, des liens louches avec l’ancienne nomenklatura socialiste nationale et internationale, avec peu à offrir en termes d’alternatives politiques et économiques. À la fin du dernier mandat de BSP en 2009 dans un gouvernement de coalition, ce déguisement avait paru toute portée. C’est à peu près à ce moment que le Parti de gauche bulgare a été créé. Pourtant, à ce jour, en dépit de son appartenance à la Gauche européenne et un certain nombre de déclarations progressistes, il est retombé dans la rhétorique de la gauche ancienne, avec des programmes économiques qui étaient autant de voeux pieux irréalistes, plus appropriés pour l’Allemagne qu’au contexte bulgare, et une rhétorique redondant de la guerre froide qui sert l’établissements capitaliste d’Etat que comme la Russie de Poutine. N’étant pas en mesure de percer malgré la période d’intenses protestations sociales,la Gauche bulgare a pris un retard considérable sur les manifestations les plus récentes. Bien que n’obtenant que 0,5% lors de l’élection européenne en mai, une scission au sein du parti et la décision de rejoindre le Parti vert du début de la transition n’a rien apporté de positif. Le résultat combiné de la Gauche bulgare et des Verts est maintenant de 0,2% – plusieurs fois plus faibles que les résultats de l’un ou l’autre des partis dans les élections au Parlement européen et un signe clair que le parti de la Gauche bulgare est en crise profonde et doit repenser sa stratégie. Au-delà de la Gauche bulgare, la fin du mandat du BSP en 2009 est dû aussi au départ d’autres dissidents du BSP pour proposer des alternatives en liaison avec la pression du secteur citoyen et des campagnes fondées sur les enjeux autour de la fracturation hydraulique, du droit du travail, du TTIP, etc. Le mouvement anarchiste a également resurgi et est devenu plus visible au début des années 2000, même s’il restait marginal et divisé sur les questions de stratégie et d’engagement avec l’étiquette de « gauche ». L’entrée de la Bulgarie dans l’UE, qui a permis la mobilité et les études à l’étranger, a également suscité un certain nombre de nouvelles initiatives et d’articulations à gauche. Initiées souvent par les étudiants en sciences sociales et humaines, qui ont commencé à articuler révision critique de gauche du passé socialiste et critique du capitalisme dans le présent, ces initiatives sont devenus plus visibles comme une alternative au BSP, mais surtout dans les milieux universitaires et libéraux. Alors que cela se passait lentement, le BSP s’est divisé, l’Alternative pour une Renaissance bulgare (ABV) de l’ancien président Georgi Parvanov gagnant des sièges au Parlement. BSP et ABV ont réussi à surfer sur le sentiment anti-communiste des protestations contre le gouvernement Oresharski. Le programme de ABV reste peu clair et dépend de la manière dont le parti va gérer le passé de son propre dirigeant Parvanov et du BSP. Dans le même temps, dans une dernière tentative de sauver la face, le BSP a adopté le titre "BSP-Parti de gauche". Ainsi, des partis comme le Parti communiste ont été invités à se joindre à lui pour réaffirmer cette image, et le fait qu’ils ont accepté montre leur impuissance et leur désespoir depuis leur émancipation et leur opposition au BSP. Pourtant, le BSP a été aidée dans cette initiative par un certain nombre d’intellectuels venus de l’ancienne nomenklatura qui ont accepté de figurer sur les listes électorales ou tout simplement dans la campagne, affirmant que le BSP – l’une des partis les plus oligarchiques et néolibéraux en Europe – constituait une alternative «anti-néolibérale "ou" "anticapitaliste". Ce glissement vers l’orbite de BSP de personnes qui étaient considérés comme des voix de la nouvelle Gauche,, et la nécessité pour les partis de la nouvelle Gauche de prendre position vis-à-vis des manifestations ouvertement anti-communistes (même si, techniquement anti-BSP) durant l’été 2013, a réellement fragmenté et aigri le dialogue à gauche. D’autres mouvements sociaux en Bulgarie n’ont pas non plus été une cible facile pour la Gauche : le mouvement vert ou les groupes qui sont devenus actifs dans les manifestations contre les prix de l’électricité ont le plus souvent choisi d’autres alliés. Ils ont souvent adopté les valeurs pro-marché, anti-communistes, éclectiques et intrinsèquement contradictoires, mêlées chez certaines groupes plus marginaux à des théories de la conspiration et des tendances crypto-fascistes, qui sont difficiles à avaler pour la nouvelle Gauche. Ces jours-ci une initiative contre TTIP / CETA / TISA prend forme à l’initiative de la nouvelle Gauche. Elle permettra de tester à nouveau dans quelle mesure la gauche peut sortir de l’ombre épaisse du BSP et établir une voix hégémonique propre au sein de la pléthore de mouvements avec des idéologies éclectiques. 


En Europe, nous voyons le néo-fascisme à la hausse. Ce phénomène existe-t-il en Bulgarie ? 


Le phénomène est très évident en Bulgarie depuis 2005, lorsque le parti d’extrême droite Ataka, nationaliste, anti-Roms / anti-turc / antisémite et homophobe, est entré au Parlement. Depuis lors, l’extrême droite a quadruplé, faisant venir de nouveaux acteurs, tels que le Front de Libération Nationale de la Bulgarie (CSNF) et le VMRO-DPMNE, puis le Parti nationaliste bulgare, ouvertement néo-nazi et skinhead, prônant la suprématie blanche. Ce dernier n’a pas réussi à percer sur le plan électoral, et son avenir est difficile à prévoir. Ce qui est vraiment inquiétant dans l’extrême droite en Bulgarie est la combinaison de deux facteurs. D’une part, s’il est clair que ces partis émergent en temps de crise et se présentent comme alternatives au statu quo, il est également évident qu’ils ont des liens profonds avec les partis traditionnels et un important soutien économique. Un exemple très clair : Volen Siderov, le leader de Ataka, faisait partie de la majorité au Parlement qui a permis de constituer le gouvernement minoritaire BSP- DPS dirigé par le Premier ministre Plamen Oresharski. S’allier à un parti prétendu de gauche comme le BSP, et qui est soutenu par le parti ethnique de la minorité turque, auquel s’oppose à ce point un parti de droite anti-turc Ataka, apparaît comme une figure tragique de suicide politique. Pourtant, il a manifestement bénéficié de cet accord : il a été en mesure d’organiser une campagne avec un million de participants, avec un énorme panneau d’affichage avec son visage et une nouvelle station de télévision à diffusion nationale. Son parti a obtenu un résultat aux élections législatives malgré la concurrence du Front patriotique (CSNF et VMRO), ce qui donne un total de plus de 13% à l’extrême droite. Cela est extrêmement inquiétant, d’autant plus que pour le moment, l’extrême droite a réussi à produire un discours qui ressemble un peu au populisme de gauche d’Amérique latine. Il se prononce pour les biens communs, les services, les emplois et la dignité symbolique pour les Bulgares ethniquement purs, présentés comme une minorité ethnique menacée, et les flux transnationaux des capitaux et des personnes. Regardée de près, bien sûr, l’alternative qu’ils proposent n’est pas progressiste – ni pour les libertés politiques en faveur des minorités, ni économiquement, car la nationalisation des grandes industries proposée semble ne pas plus loin que le modèle de capitalisme d’état.   Pourtant, combinée à une rhétorique de victimisation des Bulgares dans le passé de colonie ottomane, étau sentiment anti-immigrés, anti-turc et anti-Roms, ce discours a réussi à percer chez les travailleurs pauvres et les chômeurs Bulgares. Ainsi, l’extrême droite s’est avéré beaucoup plus en mesure – y compris financièrement – d’organiser des campagnes dans les petites villes de laBulgarie et les quartiers pauvres des grandes villes où réside beaucoup d’électeurs privés de leurs droits par les réformes néolibérales. S’adresser à cet électorat et conquérir l’hégémonie par un discours de solidarité de classe entre tous les groupes marginalisés en Bulgarie, c’est ce que les mouvements sociaux et une alternative de gauche devraient faire, afin de mettre fin aux tensions interethniques croissantes. Et dans la constellation parlementaire actuelle, où les partis d’extrême droite vont probablement obtenir des concessions importantes en tant que soutiens tacites du gouvernement minoritaire du GERB, cette tâche est plus urgente et impérieuse encore pour les mouvements sociaux et la petite Gauche. 


Mariya Ivancheva est un chercheur post-doctoral à la School of Social Justice de l’University College de Dublin et membre du comité de rédaction de la revue LeftEast.
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