Bernard Maris, la furie du capitalisme et la furie du terrorisme


Il n’était pas dessinateur mais partageait avec Charb (le directeur), Wolinski (le dessinateur le plus connu) et les autres victimes une impatience devant les idées dominantes et une antipathie à l’égard du pouvoir.
Il était un intellectuel français traditionnel, un spécialiste de Keynes et une figure publique. Il a été actif dans Attac France et était devenu un ami de Michel Houllebecq, un écrivain dans le nouveau roman très controversé Soumission imagine un président musulman pour la France. Invité fréquemment à la radio France Inter, il s’opposait régulièrement à des journalistes du quotidien français des affaires. Ses écrits comprennent les deux tomes de l’Antimanuel d’économie (Éditions Bréal, 2003, 2008), qui pourfendent les dogmes du libre marché. 
Par quelle convulsion de l’histoire des extrémistes islamistes en guerre contre le pourvoir de l’Occident en arrivent-ils à tuer l’une des voix qui le dénonce ? Quelle dissonance cognitive – davantage même que l’aveuglement idéologique – les empêchent-elles de comprendre les conflits internes du capitalisme ?
A l’évidence, il n’y a pas de différences qui comptent chez les « infidèles » occidentaux pour ceux qui veulent la fin de la liberté d’expression. De la même façon, pour les nouveaux fascistes européens, tous les citoyens musulmans et tous les immigrés sont des terroristes potentiels. Sommes-nous revenus à la « guerre des civilisations » où, au nom de la sécurité, l’état d’urgence impose à tous de serrer les rangs dans le conflit imaginaire mis en scène – et où toute possibilité de dissidence est supprimée.
Le conflit qui importe, le sillon dans lequel Oncle Bernard écrivait, n’est pas celui-là, il travaillait à dénoncer la « furie du capitalisme ». parallèlement, dans le monde islamique – au Moyen Orient comme en Europe – le conflit principal est un conflit interne, la guerre opposant les idées relatives à la société et à la politique, davantage même qu’à la religion.
Le décès absurde de Bernard Maris nous ramène au devoir de nous opposer à l’injustice, et d’abord à celle produite par nos pays, notre pouvoir, notre consommation.

Sa mort nous ramène à la nécessité du débat politique – il a voté oui au référendum français sur le traité constitutionnel européen, mais avait depuis changé d’opinion, pensant que l’euro devait être abandonné.

Sa mort peut nous aider à regarder devant nous – il pensait que l’avenir était au-delà des marchés et des marchandises, dans une économie de partage, avec des emplois ayant du sens, des biens communs culturels et la solidarité sociale. Entre les « fourmis » et les « cigales » sur la couverture de son Antimanuel, sa sympathie allait à ces derniers. Il était né à Toulouse et avait 69 ans.

Publié d’abord par OpenDemocracy, le 11 janvier 2015.