Une réponse internationaliste

Discours de Gregor Gysi, Président de la Gauche Européennne au congrès fédéral de Die Linke à Leipzig, le 9 juin 2018, sur la question des réfugié.e.s et de la migration

Mes chers camarades,

 

Nous vivons en des temps de défis incessants. Quelle direction le monde va-t-il prendre? Allons nous devoir nous habituer aux guerres plus encore que nous ne le sommes aujourd’hui ? Comment la guerre commerciale entre l’UE et les Etats-Unis va-t-elle se dérouler ?  Comment impactera-t-elle les employé.e.s de l’Europe et des Etats-Unis ? Le capitalisme continuera-t-il son cours néolibéral, créant toujours autant de travail précaire et mal payé, exacerbant les inégalités sociales ? Les grandes compagnies et les banques continueront-elles d’être dérégulées ? Peut-on encore prévenir la catastrophe du changement climatique ? Qu’en est-il des efforts pour aider les millions de personnes dans le monde sujettes à la faim, la souffrance et la pauvreté ? Comment vaincre la pauvreté en Allemagne, en Europe, dans le monde ?

Il est facile d’offrir des réponses négatives et pessimistes à ces questions mais cela nous plongerait seulement dans la dépression, nous rendant incapable d’agir. Pourtant nous pouvons croire que toute tentative d’apporter un changement significatif vaut le coup de lutter.

En tant que président de la Gauche Européenne et membre de notre parti, j’ai noté qu’au sein de la Gauche en Europe, et au sein de notre parti, des points de vue profondément conflictuels existent sur ces questions. Je sais que certaines problématiques trouveront des solutions localement quand d’autres les trouveront nationalement ou demandent d’agir à l’échelle internationale. Ce n’est pas le problème. Nous avons des institutions à tous les niveaux et la Gauche est décidée et capable d’agir en leur sein. Le moment où nous décidons de rejeter certains de ces niveaux est le moment où nous sapons notre impacte dans et devant ces institutions y compris celles auxquelles l’on voudrait se limiter en renonçant aux autres. Au sein de la Gauche en Europe et en Allemagne, il y a ceux qui se concentrent sur des réponses nationales et ceux qui développent des réponses internationalistes.

D’abord, nous devons comprendre la réalité du 21ème siècle, en Allemagne comme en Europe. L’économie est mondiale, il existe des compagnies européennes, nous faisons face à des défis environnementaux et d’autres problématiques qui menacent la viabilité même de nos sociétés et la seule solution pour les changer est internationale, non nationale. Nous faisons également face de nouveau à des problèmes sociaux d’ampleur. La question sociale a toujours eu une dimension internationale, même si les réponses trouvées étaient principalement nationales. Les multinationales et les grandes banques lui ont désormais donné une dimension inévitablement mondiale et universelle. Ils ont rendu possible pour nous de comparer nos niveaux de vie, à travers leurs employé.e.s, leurs téléphones portables, internet, en quelques mots : à travers la mondialisation. La seule réponse des gouvernements pour le moment est l’isolationnisme. Si la Gauche veut offrir aux gens une perspectives viable, ils auront à trouver une autre réponse, une qui inclut toute l’humanité.

Depuis le début, j’ai toujours eu quatre raisons pour m’identifier à la gauche. 

La première était et reste la question de la guerre et la paix. Je sais qu’il y a eu des exceptions dans l’histoire de la gauche, mais essentiellement elle a toujours été un mouvement de paix.

La seconde était, et reste sa demande pour la justice sociale. Je n’ai jamais assimilé la justice avec l’égalité pour tous. La justice accepte des différences basées sur les responsabilités, la difficulté du travail, et d’autres critères. Mais la demande pour de la justice sociale entend combattre la pauvreté autant que  l’accumulation infinie des richesses qui entraine inévitablement la pauvreté. 

La troisième raison était, et reste que la gauche se bat pour une égalité des opportunités, des chances. Tout le monde naît dans des circonstances très différentes. La question à laquelle les nations et les sociétés doivent répondre est la suivante : quelles opportunités sont-elles prête à offrir à ceux en difficulté au quotidien plus que les autres ? Il y a des structures qui facilitent la vie de ceux dans la difficulté et d’autres qui rendent leur vie plus compliquée. L’Allemagne est en soi un très mauvais exemple dans ce qu’elle offre de mobilité sociale. L’égalité des opportunités dépend également de l’égalité de genre. Tout individu a le droit à des opportunités égales, quelque soit sa nationalité, sa religion (ou son absence), sa race ou son orientation sexuelle. Nous devons également nous assurer l’inclusion la plus large de ceux qui vivent avec des handicaps. Et nous devons donner à tous et toutes une égalité des chances dans l’accès à l’éducation, l’art et la culture. 

Ma quatrième et dernière raison était, et reste l’internationalisme de la gauche, que je considère comme essentiel. Suis-je déterminé à combattre la pauvreté dans ma propre société ou dans le monde ? Suis-je déterminé à me battre pour des opportunités égales pour tous et toutes dans ma propre société ou dans le monde ? Peut-on même parler de justice sociale si nos objectifs se limitent à nos frontières ?  Peut-on même parler d’égalité des chances si elles ne sont offertes que dans un seul pays ? L’internationalisme n’est-il pas un pilier essentiel de notre combat pour la paix, la justice social et l’égalité des opportunités ? Laissez moi vous le dire : même les mouvements de droite peuvent se battre pour la justice sociale et l’égalité des chances au sein d’une seule nation. Ils ne le front par contre jamais en dehors de leurs frontières nationales, voilà pourquoi l’internationalisme est une idée centrale de la gauche.   

Considérer une demande politique fausse parce qu’elle ne peut pas être transmise n’a pas de sens. Après tout, une des tâches de la communication politique est de transmettre des idées auprès des personnes pourtant initialement critiques à leur égard. 

Le manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Friedrich Engels se termine par ce cri de ralliement : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Il comprend leur rejet de la xénophobie du racisme et de l’antisémitisme. Ils appelaient ces classes sociales à connaître leurs intérêts communs et à se battre pour eux et ne pas laisser la classe dirigeante les retourner les uns contre les autres. La classe dirigeante a au moins deux bonnes raisons de vouloir le faire. Ils veulent conquérir d’autres pays et piller leurs ressources et ils souhaitent éviter d’être renversés par les classes inférieures. Quand le Tsar russe était en difficulté, il blâmait les juifs pour l’état du pays. Ils voulaient que le peuple s’entretue. Les paysans français et allemands n’avaient aucune raison de s’entretuer mais on les a incité à se retourner les uns contres les autres. Karl Marx et Friedrich Engels se sont opposés à ces idées en leur temps : ils croyaient que la situation sociale commune des travailleurs permettrait à la solidarité de devenir le cœur de leur mouvement.

Aujourd’hui, la viabilité environnementale et sa relation à la question sociale est devenue la cinquième raison pour être de gauche.  

Mais, comme je l’ai déjà fait remarqué, il existe une tendance au sein de la gauche européenne et allemande qui entend s’attaquer à ces questions à l’échelle nationale. Laissez moi être clair, il n’y a pas de racistes ou de nationalistes ici, mais il y a des personnes dont les attachements intellectuels et émotionnels sont concentrés sur la nation et veulent la voir protéger de la pauvreté qui vient d’autres pays. De nouveau, laissez moi être clair : nous ne devons jamais permettre aux solutions à ces défis internationaux de laisser pour compte les classes moyennes et pauvres de notre pays. Au contraire, nous devons nous battre pour améliorer la situation des plus pauvres et des classes moyennes allemandes. Mais nous devons leur faire prendre confiances que ces défis ne pourront être relevés par l’isolationnisme ou en maltraitant les peuples d’autres pays. Nous devons offrir des garanties sociales. Les prestations sociales du chômage n’étaient pas plus haute avant l’arrivée du chômage et elles n’ont pas été réduite depuis. Une majorité au Parlement allemand force les plus pauvres à survivre avec le minimum, quelque soit le nombre de gens touchés par la pauvreté ou le nombre de réfugié.e.s que nous accueillons. Notre lutte n’est pas d’éviter la compétition entre les travailleurs avec des bas salaires en limitant le nombre de migrant.e.s économiques mais elle doit permettre d’augmenter les salaires de tous. De plus, nous devons soulager les classes moyennes, accablées par les politiques de politiciens ayant trop peur de se confronter aux multinationales et aux grandes banques dont la fortune a été acquise injustement. Protéger leur richesse n’est pas la mission de la gauche. 

Oui, je suis inquiet à propos de la gauche en Europe et en Allemagne. Nous ne devons pas abandonner nos valeurs internationalistes. Cela reviendrait à perdre une des raisons principales de l’appartenance à gauche. 

Ne voulons-nous pas laisser décider pour eux même comment et où les individus veulent-ils vivre ? Bien sûr, l’on peut penser différemment et opposer les travailleurs ou migrants. Mais pourquoi s’arrêter ici ? Pourquoi ne pas dissoudre les Etats fédéraux ? Les membres de la gauche bavaroise ne pourraient pas pousser la Bavière à quitter la République Fédérale et empêcher les travailleurs de la Saxe de chercher des emplois en son sein car ceux-ci pourraient représenter un danger pour les Bavarois et les salaires locaux ? En 2016, 60% des migrants venus en Allemagne étaient des Européens, pourquoi ne pas limiter le flux européen des travailleurs ? Certainement ce n’est pas la solution que nous recherchons, n’est-ce pas ?

Bien entendu, nous devons connaitre et nous battre contre les causes de la migration, spécialement localement dans ces pays ou de nombreuses personnes sont forcées d’abandonner leurs foyers. Pour cela, nous avons besoin d’une approche internationaliste et ce n’est pas une raison pour nous d’arrêter d’accueillir des réfugié.e.s. Dans le monde, 65 millions d’entre eux sont sur les routes. Parmi eux, 3,2 millions sont entré.e.s dans l’UE des 28 depuis 2015. Des pays bien plus mal lotis que nous comme la Jordanie ou le Liban ont accueilli de biens plus grands nombres de réfugié.e.s en leur sein. Au lieu de se plaindre du status quo, l’Europe devrait leur offrir du soutien. Si ce n’est pas le cas, ces réfugié.e.s devront reprendre la route. 

Cela signifie que désormais et dans le futur, notre intérêt premier doit être de changer la situation globale ainsi que notre politique domestique, de manière à ce que plus personne ne soit forcé de quitter son foyer. Il serait désastreux de tenter de compenser nos maigres succès du passé en niant indirectement ou directement les droits des réfugié.e.s de se construire un futur y compris dans nos pays. Notre première action pour atténuer le pouvoir des multinationales, et des politiciens dont elles se servent  comme des pions, ne devrait pas être d’ériger des murs pour écarter leurs plus pauvres victimes. Cela n’annulera pas les droits basiques de ces personnes et les intégrer permettra d’enrichir notre société pas l’appauvrir.

Mais pour assurer leur intégration réussie, nous devrions considérer d’adopter la suggestion de Gesine Schwan : un fond européen pour les collectivités locales qui couvrirait non seulement les coûts de l’accueil et de l’intégration des réfugié.e.s mais également les coûts d’investissement infrastructurels nécessaires dans les domaines de l’éducation, du logement et de la culture. Ce type d’initiative sociale aura un impacte dans tout le pays et bénéficiera à tous et toutes. Cela pourra même inciter les collectivités à accueillir des réfugié.e.s.

L’intégration implique l’enseignement de l’allemand, la prévention de la ghettoïsation, l’aide à la recherche d’emploi et à la formation professionnelle pour les réfugié.e.s et la diffusion de nos droits les plus fondamentaux formulés dans les articles 1 à 20 de notre Loi Fondamentale. Tout réfugié a besoin de savoir qu’en Allemagne, les hommes et les femmes ont des droits égaux. Bien entendu nous devons encore nous battre pour plus d’égalité en général. Aucun réfugié n’a le droit de limiter notre culture, nos arts et mœurs ici en Allemagne mais chaque réfugié à le droit d’y contribuer.

Une autre raison pour laquelle l’internationalisme est devenu si important est la résurgence de l’extrême droite populiste à laquelle nous assistons en Europe et aux Etats-Unis. Les dirigeants comme Donald Trump alimentent les égoïsmes nationaux. Mais ces tentatives d’amortir les conséquences de la mondialisation néolibérale sur la nation sans questionner ses principes de base ne permettront pas d’inverser ou d’atténuer la tendance, d’ailleurs ce n’est pas leur objectif.  

Leur seul but est d’assurer à leurs pays de récolter les bénéfices des investissements capitalistiques, de réduire pour leurs populations seules les impactes sévères de cette compétition du bas-prix et pour les ressources disponibles, et enfin de maintenir les ravages sociaux, économiques et environnementaux déstabilisant le monde, à l’extérieur de leurs frontières. 

En prenant les réfugié.e.s comme bouc-émissaire, la droite a choisi une solution simpliste. Mais elle n’est rien d’autre qu’inhumanité et racisme, et une attaque contre notre Loi Fondamentale. Nous serions en tort de laisser la droite imposer son discours anti-immigration à la gauche. Au contraire, la gauche doit s’opposer à ce tournant droitier. C’est notre mission, ce pour quoi nous nous battons. Même les centristes devront concéder que sans nous ils ne pourraient empêcher ce tournant à droite. Bien entendu, nous devons essayer de gagner des électeurs de droite, pas en adoptant un discours que nous rejetons mais en les convaincants d’un point de vue opposé. Si cela semble difficile, c’est pourtant notre mission

Les Etats-nations doivent arrêter de s’opposer les uns aux autres selon les bons vouloirs des multinationales et des banques. Des pays comme l’Irlande ne devraient plus être autorisés à attirer les investisseurs en abaissant leur fiscalité et leurs standards sociaux ou environnementaux. Nous n’empêcherons pas de tels déséquilibres si nous continuons de nous opposer en tant qu’Etats-nations, voilà pourquoi nous avons besoin de l’intégration européenne. Seuls, les Etats-nations ne seront jamais à même de répondre efficacement à la guerre commerciale contre les Etats-Unis. Nous avons besoin d’une réponse unie de l’Union Européenne. Bien sûr, j’ai conscience du triste état dans lequel certaines parties de l’Union Européenne se trouvent. Mais l’économie européenne, le défi environnemental auquel fait face à l’Europe, la nécessité de préserver la paix sur le continent et enfin la question sociale et l’avenir de la jeunesse (qui embrasse son identité européenne), tous ces éléments appellent à plus d’intégration européenne et non l’inverse.