Les conservateurs restent à la tête d’un Royaume moins Uni

Avec 331 mandats (sur 650) et 36.9 % des voix, contre 232 et 30.4 % des voix pour l’opposition travailliste (centre gauche), le Parti conservateur (droite) s’offre une majorité absolue inespérée. Il peut désormais se passer de son ancien partenaire de coalition, les Libéraux-Démocrates (centre), qui s’effondrent à 8 sièges (-49) et 7 % des voix (-15.2). La menace du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, droite populiste) a, quant à elle, été plus que jugulée, puisque celui-ci n’obtient qu’un seul élu et 12.6 % des voix. L’avenir politique de M. Cameron s’annonce d’autant plus radieux que ses trois principaux concurrents à l’échelle nationale ont démissionné de la direction de leurs partis respectifs. Ce résultat est néanmoins plus complexe qu’il n’y parait.
 

Cameron, vainqueur par défaut


Il tient notamment à un mode de scrutin (first-past-the-post), qui surreprésente la formation arrivée en tête de chaque circonscription avec une majorité relative. Dans cette configuration, un frémissement de voix peut se transformer, pour qui parvient à ménager son ancrage local, en un ouragan de sièges. Ainsi le parti conservateur en gagne-t-il 24 en n’augmentant que de 0.8 % son score de 2010, quand les travaillistes, qui glanent 1.5 % de voix de plus, accusent une perte nette de 26 mandats…

De fait, la performance somme toute modeste de M. Cameron (le seconde pire pour une majorité conservatrice depuis près d’un siècle) n’a rien d’un plébiscite pour son programme alliant néolibéralisme et austérité budgétaire. Son bilan économique est loin de faire l’unanimité, la hausse de la croissance et de l’emploi s’étant faite au prix d’une précarisation du travail et d’une augmentation de la pauvreté. Nombre de réformes ont été émaillées de mouvements de contestation d’ampleur, à l’instar des manifestations étudiantes contre le triplement des frais universitaires de 2010. Rien d’étonnant à ce que les Libéraux-Démocrates, élus cinq ans plus tôt sur un programme de centre gauche, aient fait les frais d’une participation gouvernementale qui les a fait trahir à peu près toutes leurs promesses.
Plutôt que de victoire conservatrice, c’est donc de défaite des travaillistes dont il faudrait parler. Ceux-ci se sont révélés incapables d’incarner une alternative crédible, en dépit de sondages qui leur étaient largement favorables jusqu’au dernier mois précédant le scrutin. Son leader Ed Miliband, a notamment été pris entre deux feux : l’aile droite du parti l’accusant de dilapider l’héritage « thatchérien » du New Labour des années Tony Blair, qui lui aurait fait perdre le soutien de la presse et des milieux d’affaires ; l’aile gauche critiquant son engagement à poursuivre la rigueur budgétaire.
 

La droite xénophobe et europhobe, vainqueur moral


La défaite personnelle de son dirigeant Nigel Farage ne doit pas faire oublier le score exceptionnel réalisé par l’UKIP. Pour la première fois, un parti de droite populiste se hisse à la troisième place d’une élection générale, augmentant ses voix de 9.6 %. Avec l’effondrement des centristes et un quasi-statu quo pour les partis de centre gauche (qui progressent légèrement à l’échelle du pays, notamment grâce aux 3.8 % du Parti Vert), on assiste à une droitisation de l’électorat britannique, les scores cumulés de l’UKIP et des Tories frôlant les 50 %.

De façon inattendue, les performances de l’UKIP, dont le programme ultralibéral et résolument conservateur le rapproche objectivement des Tories, semblent avoir bénéficié à ces derniers. La carte europhobe et xénophobe jouée avec constance par M. Cameron lui a permis de rallier en dernière minute les suffrages des indécis sympathisants de l’UKIP. Les travaillistes, politiquement démunis, voyaient, quant à eux, leur électorat raboté par les offensives du parti anti-Europe dans ses anciens bastions ouvriers, les privant de la victoire dans plusieurs circonscriptions.
Nul doute que le parti n’a pas fini de laisser son empreinte dans la politique britannique, tous bords confondus. À commencer par le référendum sur la sortie de l’Union européenne, que David Cameron s’est engagé à organiser à mi-mandat sous pression de l’UKIP.
 

L’Écosse à contre-courant


Le bouleversement le plus spectaculaire de cette élection est à trouver au nord du pays. Le Parti national écossais (SNP, centre gauche indépendantiste) s’attire les suffrages d’un électeur sur deux (+30 % des voix) et, profitant pleinement du mode de scrutin, rafle 56 des 59 circonscriptions en jeu. Alors que cette région post-industrielle meurtrie par les années Thatcher était habituée à voter comme un seul homme pour le parti travailliste lors des élections générales, ce dernier sort laminé de la bataille du nord de la Tweed : il perd 40 sièges et n’obtient que 24.3 % (-17.7 %) des voix.

Ce résultat constitue la suite logique et prévisible de la dynamique politique du référendum d’indépendance organisé en septembre 2014. Dans une Écosse qui n’a jamais accepté la conversion du parti travailliste au néolibéralisme, celui-ci semble avoir creusé sa propre tombe en prenant la tête du camp du Non, cristallisant ainsi les ressentiments contre l’establishment de Westminster. En dépit de leur échec, les partis indépendantistes – au premier rang desquels le SNP – ont pleinement tiré parti de l’énergie militante déployée durant la campagne, bénéficiant notamment d’une importante vague d’adhésion. Cet élan civique se constate à travers le taux de participation en Écosse (71.1 %) lors du scrutin du 7 mai, qui dépasse de 5 points la moyenne nationale.
Le triomphe du SNP tient à une campagne résolument ancrée à gauche, qui prit sans complexe le contre-pied des mesures avancées par les conservateurs : hausse des dépenses publiques, investissements dans les emplois et les services publics, fin des exonérations fiscales pour les plus riches, économies sur le budget militaire… Dans la perspective d’un Parlement sans majorité, la dirigeante nationaliste Nicola Sturgeon a tendu la main à M. Miliband pour former une coalition anti-austérité, essayant un refus répété de ce dernier. La vague UKIP s’est quant à elle arrêtée au mur d’Hadrien, le parti ne réalisant qu’un score marginal en Ecosse.
La rupture semble dès lors consommée entre une Écosse progressiste et une Angleterre conservatrice. La législature à venir s’annonce donc agitée. Pas sûr que cela soit pour déplaire à M. Cameron, qui ne dispose pour l’heure d’aucune raison de contenir la montée du SNP, trop utile pour empêcher à l’avenir l’émergence d’une majorité travailliste. Un bras de fer est d’ores et déjà attendu autour de la promesse de transferts de pouvoirs au Parlement d’Edinburgh faite par le Premier-ministre britannique, accusé par ses contempteurs de ne chercher qu’à délocaliser la gestion de l’austérité.
 

Affrontement social


De bras de fer, il en sera aussi question sur le terrain social. Les conservateurs ont prévu une épure budgétaire de 41 milliards d’euros en 2 ans, pour les trois quarts réalisés sur les allocations sociales. « Avec les Tories seul au gouvernement, on sait exactement à quoi s’attendre », proclame la plateforme anti-austérité People’s Assembly, qui promet de redoubler de mobilisation, notamment à l’occasion de la manifestation nationale du 20 juin devant la Banque d’Angleterre. Signe avant-coureur, plusieurs centaines de protestataires ont célébré à leur façon la réélection de M. Cameron en bloquant durant quelques heures Downing Street, avant d’être dispersés sans ménagement par les forces de l’ordre. Tout un symbole…